Séparatisme et humiliation aux Roms à la commission des droits de l’homme Article de Neşe Ozan [1] publié le 5 janvier 2008 sur www.bianet.org - traduction Derya Ozel La semaine dernière [27.12.07], à la commission des droits de l’homme de l’Assemblée, il y avait plus de plaintes contre les Roms que les plaintes des Roms eux-mêmes. On a déclaré des Roms, qui se sont séparés dans le désespoir, qu’ils sont sans culture, consommateurs d’alcool et de drogues et trafiquants de femmes. Les habitants du quartier de Sulukule ont fait appel il y a un mois à la commission des droits de l’homme de l’Assemblée Nationale contre les moyens de mise en oeuvre de la mairie de Fatih dans le cadre du projet de renouvellement urbain. La semaine dernière, l’association de solidarité et de développement de la culture rom de Sulukule et la plateforme de Sulukule étaient invitées pour représenter les plaignants. Parmi les invités qui attendaient à la porte de la commission, il y avait le maire de l’arrondissement de Fatih, Mustafa Demir, le maire de quartier et l’association de Neslişah (créée il y a un mois). Selon l’opinion répandue à Sulukule, la mairie est derrière cette nouvelle association. Le maire, qui a du subir les pressions incessantes de la plateforme de Sulukule, a probablement trouvé cette solution en s’alliant avec des habitants. Lorsque Zafer Üskül, ministre de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement, parti de mouvance islamique) transféré du parti social-démocrate, donne la parole en premier à Oktay Hallaç de l’association de Neslişah, on comprend que le but de cette réunion de la commission n’est pas de discuter les lettres de réclamation des habitants de Sulukule, mais d’écouter les plaintes contre les habitants de Sulukule. Oktay Hallaç considère pour lui-même le projet de la mairie comme une délivrance. İl se plaint de ne pas pouvoir donner une éducation religieuse à ses enfants dans les médressés à cause des sulukuleliler (habitants de Sulukule). « Les habitants de Sulukule ne sont pas des musiciens comme on le croit », dit-il. İl énumère ses plaintes les unes après les autres : « Eux, ils sont consommateurs d’alcool, ils habituent leurs enfants à la drogue...ce qu’on appelle culture dans ce quartier, c’est prostituer ses enfants... » En silence, je regarde Zafer Üskül écouter ces propos. Comment se fait-il qu’il autorise de telles paroles qui humilient et rendent coupables tous les habitants d’un quartier ? « Mon fils, ta propre mère est musicienne »Lors de la réunion, Asım Hallaç représente l’association de solidarité et de développement de la culture rom de Sulukule et les habitants. Le jeu du destin fait que Oktay et Asım sont cousins paternels. Dès qu’Asım Hallaç rappelle à Oktay que tous ses parents y compris sa propre mère sont et de Sulukule et musiciens, les représentants des associations et les ministres de l’AKP se soulèvent : « il y a violation de la vie personnelle d’Oktay ». Asım Hallaç continue : « la mairie a dit : “soit tu vends ta maison, soit tu me la cèdes” ». İl explique qu’à cause de la menace d’expropriation d’urgence, la moitié du quartier a vendu sa maison à un tiers. Zafer Üskül ne comprend pas : « où est le problème si un citoyen vend sa maison de plein gré à un autre citoyen ? » İl rappelle à Asım Hallaç qu’il faut évoquer des propos allant à l’encontre des droits de l’homme et non de telles paroles dénudées de sens. İsmail Altıntoprak, maire de quartier de Hatice Sultan depuis 20 ans, est dérangé tout d’abord de l’appellation de « Sulukule » pour le quartier : « le nom du quartier est Neslişah. Lorsqu’on dit Sulukule, on a l’impression que les gens qui vivent ici sont vulgaires et irresponsables. » İl raconte que les habitants du quartier sont des consommateurs d’alcool et des voleurs, que les maisons sont des poubelles. En plus, « ils ne payent ni électricité ni eau. » İl a raison ; un certain nombre de foyers n’a pas d’eau courante à Sulukule car ils ne payent pas leurs factures. Les femmes transportent de l’eau toute la journée de la fontaine du quartier. Mes yeux se tournent à nouveau vers Zafer Üskül. Demandera-t-il, « pourquoi les familles ne payent pas leurs factures ? » En m’interrogeant ainsi, Şaban Demirci est invité à prendre la parole au micro au nom de l’association de village d’Ormanönü Amasya. On tombe des nues ; d’où sort cette association ? İl explique : « notre association a 40-50 membres qui habitent le quartier... » Selon Şaban Demirci, il n’y a rien qui ressemble à de la culture dans le quartier : « ils m’ont même coupé la route un jour que j’allais à la prière, “viens avec nous, on va d’abord te divertir, tu iras après”. Croyez-moi, j’ai honte de recevoir des invités chez moi. » Le président de la commission ne dit rien face à cette comédie.
Pourquoi le protocole n’est pas mis au jour ?Au nom de la plateforme de Sulukule, Hacer Foggo débute son propos en soulignant que c’est une violation des droits de l’homme d’humilier de cette façon une culture et ces êtres humains devant la commission des droits de l’homme. Zafer Üskül réagit aussitôt : « une minute, dit-il c’est la commission des droits de l’homme ici. Tout le monde a le droit de s’exprimer comme il veut ici, personne ne peut faire obstacle à ce droit. » Hacer avale sa salive et énumère encore une fois sans autre alternative ce qu’elle n’a cessé de raconter jusqu’à présent. Elle demande pourquoi le protocole de Sulukule signé entre la mairie de Fatih et l’agence pour le développement du logement (TOKİ) en 2006 n’est pas mis au jour malgré leurs nombreuses demandes. Elle veut qu’on rende public le nombre de personnes parmi les habitants du quartier qui ont acheté une maison du projet de la mairie. Elle dit que la plupart des maisons sont probablement réservées aux spéculateurs. Selon sa propre vision, le maire Mustafa Demir qui fait le projet « le plus social au monde », ne livre que des informations qui tendent à nuire au quartier à propos de sa situation sociale, omettant les détails du projet. Quel est vraiment le niveau économique des foyers dans ce quartier ? Combien de personnes possèdent un métier régulier ? Etant donné que la mairie n’a pas l’intention de donner gratuitement des maisons aux locataires à Taşoluk [site de relogement], des nouvelles maisons prévues avec le projet à Sulukule aux propriétaires, est-ce-qu’on ne devrait pas être curieux de savoir quel est le pouvoir d’achat des habitants du quartier ? Mustafa Demir explique que les notifications d’expropriation vont bientôt être envoyées aux propriétaires refusant de se mettre d’accord avec la mairie. Cela signifie que c’est la fin d’une lutte pour les habitants de Sulukule. İl ne reste plus qu’à la commission d’enregistrer ces propos. Les habitants, qui ont fait appel à la commission pour protéger leurs droits, ont appris que leur quartier est un lieu insalubre à éradiquer. Les représentants de Sulukule quittent l’Assemblée dans le désespoir. Ne parlons même plus d’être utilisé et méprisé partout, mais d’être humilié devant cette commission des droits de l’homme et d’apprendre de surcroît la nouvelle d’expropriation, c’en est de trop ! [1] journaliste, militante et bénévole au sein de la plateforme de Sulukule |
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