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Roumanie / Agriculture paysanne et travailleurs migrants saisonniers /

Elles savent comment “ça” fonctionne
10 décembre 2007 par Ana

Pendant trois jours, j’ai eu ma première "enquête sur le terrain" à l’autogare Militari dans la périphérie de Bucarest. Mon but était de parler avec les femmes qui partaient comme travailleuses saisonnières en Andalousie, Espagne, avec des contrats nominatifs.

Manu m’avait fait passer toutes les coordonnées spatio-temporelles qu’elle avait appris du responsable de recrutement de COAG Huelva, organisation de recrutement de main d’oeuvre en origen [1]. Il lui avait dit que le 29, 30 et 1 décembre les travailleuses saisonnières roumaines allaient signer leurs contrats nominatifs [2] à l’autogare Militari où la compagnie assurant le transport avait ses bureaux.

A l'autogare Militari Les gens attendent d'entrer et de signer les contrats nominatifsJ’arrive aux endroits identifiés. Il faut préciser que l’autogare a cette apparence de « période de transition postcommuniste à n’en jamais sortir même si l’on construit à la moderne » à laquelle la Roumanie a encore mal à s’échapper. La compagnie qui assure le transport a son bureau sur place, dans un petit bâtiment, auprès des guichets d’autres compagnies de transport. Tout le monde est rassemblé en face de la salle d’attente. Sur la place, pour chacun des trois jours, on pouvait compter à peu près 150 personnes [3], des hommes et des femmes.

Les femmes se rouent sur les portesC’étaient bien les femmes qui dominaient l’assemblée lors de cette première journée. En nombre et en décibels : on criait et on se ruait sur les portes parce qu’on n’avait pas respecté la liste où il y avaient les noms en ordre alphabétique. Une atmosphère « toujours un mauvais souvenir du communisme » où le désespoir se mêle à l’impatience et à la hâte. C’est des gens de province venus à Bucarest seulement pour signer les contrats. Ils signent, ils apprennent la date et l’heure du départ et ils rentrent.

Je commence mon enquête auprès des gens qui se trouvent en dehors de la foule. Ils sont méfiants, ils ont un sourire peureux. J’essaie de faire de mon mieux pour leur donner confiance. On me demande si je suis avec la presse ou avec quelque télévision. Ils répondent quand même à toutes mes questions. C’est des gens qui ont deja signé, ou qui accompagnent quelqu’un, ou qui attendent leur tour, tout en jugeant impolies les ruées des autres.

On me répète tout le temps qu’elles veulent seulement travailler parce qu’en Roumanie elles n’en trouvent pas. Même si elles en trouvent, c’est mal payé, le salaire minimum (un peu plus de 120 euros). En même temps, la plupart d’entre eux ont un petit boulot ici, même sans contrat de travail. Elles ne peuvent pas avoir un contrat parce qu’elles partent pour l’Espagne deux fois par an. La première fois pour cinq ou six mois, à partir de janvier jusqu’au moment où la campagne agricole se termine, en été. La deuxième fois elles partent pour le mois d’octobre, pour “les plantes” – les semis. Il y a aussi celles qui ne cherchent plus de travail en Roumanie parce qu’elles savent à quoi s’attendre en Espagne, elles savent comment “ça” fonctionne et elles n’en cherchent plus ici. C’est un même discours pour tous ceux que je questionne : on veut mieux vivre, on veut avoir des maisons « comme il faut », on veut pouvoir prendre soin des enfants.

Ces gens ne font aucune confiance à l’Etat qu’ils considèrent comme le premier responsable de cette situation de pauvreté et de désespoir qui les pousse à partir. En ce qui concerne le travail en Espagne, ils disent que c’est un travail dur mais que ça vaut la peine d’y aller parce qu’ils sont payés. Pour le même travail, en Roumanie, ils auraient reçu un rien comme payement. Tout ce qui les intéresse c’est que les patrons espagnols respectent les contrats et qu’ils les payent. Les travailleuses disaient qu’elles étaient logées dans des maisons situées dans les champs et qu’elles avaient tous les conditions nécessaries. L’accès à la ville était facile. Tous les deux semaines elles étaient amenées faire leurs achats. Si elles voulaient sortir, on ne les empêchait pas, mais elles disaient ne pas vouloir sortir parce qu’elles n’étaient pas là pour ça, pour gaspiller de l’argent ou pour s’amuser. En général, elles étaient contentes de leur patron. En ce qui concerne le comportement du patron envers ses travailleurs, elles disaient que tout dépendait de son caractère, parce qu’ il y avait aussi des patrons qui ne s’intéressaient pas à leur situation mais qui les payaient à temps, les heures supplémentaires y-compris…et à la fin, c’était tout ce qui comptait.

En attendantLa plupart d’entre elles rentrent dans les cases des profils-type : des femmes du milieu rural, sans un niveau de scolarisation élevé, en chômage ou sans aucune qualification professionnelle, mères de famille. Il y a aussi les exceptions : j’ai rencontré des éducatrices et des assistantes médicales qui partaient comme saisonnières pour la même raison : gagner de l’argent.

Toutes ces femmes ne se posent pas de questions, tout ce qui compte c’est que pour un même travail, elles sont payées quatre fois de plus qu’en Roumanie. Et tout ce qu’elles doivent faire, c’est travailler ! Et elles sont prêtes à le faire. Elles ne parlent pas d’exploitation... exploitation en Roumanie serait plus correct ...


[1] dans les pays de départ

[2] ce sont des contrats qui nomment, évidemment, le travailleur ayant déjà travaillé chez le même patron qui le redemande ainsi par ce contrat nominatif. En Roumanie, si l’on a un contrat nominatif, on n’a plus besoin de passer par l’ambassade ou par autre institution pour l’occupation de la main d’œuvre. On le signe et on part à la date et à l’heure établies.

[3] les contrats nominatifs étaient pour plus de 450 femmes




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