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Allemagne / Droits des étrangers /

Horst ou l’art de cacher ses réfugiés dans la forêt
19 janvier 2011 par Marine

Quand j’en parle à des amis hambourgeois, ils ne sont pas au courant. "Un centre d’accueil de demandeurs d’asile dans la forêt ? Tu es sûre ?" Alors que la majorité de la population ignore les conditions de vie des réfugiés, le camp de Horst s’impose sans détour comme un symbole d’une politique migratoire et d’asile qui rend les gens malades. Retour sur la vie au camp et sur la grève de la faim de septembre dernier.

Dans la forêt enneigée, l’asile derrière les barbelés

Décembre 2010. La voiture file sur le bitume entre les rangées de platanes. Sur les côtés, des champs recouverts d’une épaisse couche de neige s’étendent à perte de vue. Le soleil d’hiver brille de toutes ses forces et révèle la campagne allemande sous son meilleur jour. On aurait envie d’arrêter la voiture, d’enfiler ses bottes et de s’aventurer dans la forêt. Une autre fois peut-être. Aujourd’hui notre programme est quelque peu différent : Tamim un bénévole du Conseil des Réfugiés, l’association où je suis volontaire et moi-même nous rendons au centre d’accueil des demandeurs d’asile de Norstorf/Horst. Du centre ville d’Hambourg à l’entrée du centre, nous mettons près d’une heure en voiture et passons sur l’ancienne frontière séparant les deux Allemagnes, celle de l’Est et de l’Ouest. Ce centre accueille à la fois des demandeurs d’asile envoyés par la région d’Hambourg et par la région voisine de Mecklenburg-Vorpommern. Les personnes rattachées à Hambourg restent trois mois maximum tandis ceux de Mecklenburg peuvent y rester jusqu’à 12 mois [1].

Camp de Nostorf-Horst

Au détour d’un virage, on aperçoit le centre entre les arbres. Il est entouré de hauts barbelés qui lui donnent une allure de prison. Tamim vire à gauche et arrête la voiture dans un petit chemin d’où les gardes ne peuvent nous voir. Nous essayons alors de joindre plusieurs réfugiés étant à l’intérieur afin que l’un d’entre eux puisse venir me chercher à l’entrée. Après 4 coups de fil, j’ai un nom et un numéro. Je me rends à pied au centre alors que la neige a recommencé à tomber à gros flocons. Tamim reste en arrière, il n’a plus le droit de rentrer à l’intérieur du centre : les responsables du camp l’ont fiché comme activiste politique et lui refusent l’entrée depuis la grève de septembre dernier (nous reviendrons dessus) [2]. Je suis déjà venue plusieurs fois mais ne suis pas encore connue des autorités alors je tente ma chance. A l’entrée un jeune Rom m’attend avec un bébé dans les bras. Il ne parle ni français, ni allemand, ni anglais. Je ne parle pas sa langue non plus. Le garde recopie mon numéro de passeport sur un papier et me jette des regards suspects. Tant pis pour lui, je suis déjà dedans suivant le père et son fils.

Par chance je tombe rapidement sur des Roms déjà rencontrés lors de manifestations à Hambourg. Quelques uns d’entre eux parlent bien l’allemand et l’un se propose de me faire faire le tour du camp. Les chambres sont petites, nues, meublées au minimum (un ou deux lit en fer, une table et une commode) et sales. En refermant la porte, mon hôte enlève d’un coup la poignée et la fourre dans sa poche. Il m’explique « Je prends la poignée avec moi parce que l’on n’a pas de clé, les responsables ici refusent de nous donner des clés et tout le monde peut rentrer, c’est vraiment mauvais pour nous… » Un tour dans les salles de bain et les couloirs atteste du manque de propreté, de rénovation et de confort du lieu. Je pense aux gens que j’ai déjà entendu dire « Non mais déjà on leur donne un toit et à manger, ils ne veulent pas non plus un hôtel 5 étoiles quand même ? ». Si un seul des ces allemands est capable de vivre dans ces conditions sans se plaindre, alors je veux bien arrêter de manger des currywurst (saucisses au curry, spécialité allemande) toute ma vie. En bas, quelques vieux papiers accrochés au mur annoncent Activités pour tous ! et Pour ceux qui ont besoin d’habits, le vestiaire fournit des vêtements. Les réfugiés qui se suivent ici répètent la même chose, on ne leur donne pas ces habits quand ils les demandent sous prétexte qu’ils auraient déjà assez. Je finis mon tour par l’entrée de la cantine où il n’y a que 50 places alors que plus de 500 personnes habitent dans le centre. J’essaye de relancer la conversation et demande à quel bon repas les réfugiés auront le droit aujourd’hui. Un jeune homme né en Allemagne dont les parents viennent de Macédoine éclate de rire et me dit : « Comme tous les jours, à midi, des pâtes avec une sauce tomate et ce soir, les restes ou du pain avec du fromage sous plastique et du salami. Je n’en peux plus du salami…pourquoi ne nous laissent-ils pas cuisiner nous-mêmes ? »

Je rejoins Tamim sur le parking, il est déjà en train de distribuer les habits que nous avons rapporté. Il y a beaucoup d’affaires de bébé et les femmes Roms se pressent contre nous pour récolter chaussures, bodies, petits gants et robes. Quand tout est parti, nous discutons avec un couple d’Afghans qui vient d’arriver en Allemagne. Tamim est originaire d’Afghanistan et tant sa maîtrise du dari que ses connaissances sur le pays sont précieuses pour le travail que nous faisons. L’homme qui lui parle a l’air fatigué et inquiet. Il explique que sa femme a besoin d’urgence d’aller voir un médecin car la cicatrice qu’elle possède suite à sa dernière césarienne est en train de s’infecter. Il ajoute que le docteur qui s’est occupé de l’opération en Iran avait prescrit des médicaments à prendre quoiqu’il arrive. Pourtant, la doctoresse en exercice à l’intérieur du centre n’a pas jugé nécessaire de l’envoyer chez un spécialiste à Hambourg et lui a donné de l’aspirine. Le couple a peur que cela entraîne des conséquences médicales graves, difficiles à traiter ensuite. Ce n’est pas la première fois que l’on récolte des plaintes comme celle-ci. Plusieurs cas similaires nous ont été rapportés : les patients n’auraient reçu que du paracétamol pour soigner des pathologies et des traumatismes beaucoup plus graves. Tamim note consciencieusement les noms, les dates et rédige un message à remettre à la responsable médicale du camp. Nous reprenons la route, à moitié gelés après ces entrevues sur le parking en nous demandant combien de temps ces histoires vont se répéter.

Loin des yeux, loin du cœur...

En partant, un homme un peu âgé nous adresse de grands signes et se met à courir. Tamim s’arrête et le réfugié s’engouffre dans la voiture. Il est palestinien. Trop heureux d’avoir trouvé une occasion de rejoindre la prochaine ville au chaud et sans effort, il nous sourit de toutes ses dents. Sur le chemin, je vois plusieurs autres réfugiés bravant le froid et les 6 kilomètres les séparant de Lauenburg afin d’acheter quelque chose, de téléphoner ou juste de sortir du camp. Parfois il y a un bus qui passe. Pour rejoindre Hambourg où sont basées les autorités des étrangers mais également les commerces, les offres politiques, culturelles et sociales, les réfugiés doivent prendre un bus, puis un train. Le tout coûtant un argent précieux (près de 10€ l’aller alors qu’ils reçoivent 40€ par mois) et prenant des heures. Encore une fois le maître mot de la politique d’accueil des demandeurs d’asile ou des étrangers en général est ISOLATION. Est-ce que les autorités pensent pouvoir ainsi les décourager ?

Cette isolation mène également à un manque absolu de soutien juridique. Le Conseil des Réfugiés de la région voisine (Mecklenburg-Vorpommern) offre une à deux fois par semaine, une permanence pour conseiller les personnes quant à leur procédure d’asile. Evidemment, cela ne suffit pas pour 500 personnes. De plus, le contact avec des avocats et avec des associations de défense des droits des migrants ou des services de conseil spécialisés est grandement entravé par l’éloignement géographique. Comment peut-on disposer d’une procédure d’asile juste dans ces conditions ?

Etre hébergé à Horst signifie également pour les enfants l’impossibilité d’aller à l’école. Une excursion au camp permet de mesurer l’ampleur du problème : de nombreuses familles, tout particulièrement Roms depuis les derniers mois, sont parquées dans le camp et les enfants passent leurs journées à tourner en rond. D. qui vient d’avoir 17 ans en a marre de tourner en rond à Horst et s’exclame : « Dire que je suis allé à l’école en Allemagne. Je te jure j’étais à l’école dans la Sengelmannstrasse à Hambourg ! J’ai passé plus de la moitié de ma vie à Hambourg, et maintenant je me retrouve dans ce camp, sans école et sans formation possible. »

Enfin certains réfugiés ont reporté des agressions et des actes de violences dans les environs du centre. Il est déjà arrivé que certains se fassent insulter et menacer par des groupes d’extrême droite, de sorte que certains n’osent plus s’aventurer seuls dans la forêt ou sur les routes isolées. Un demandeur d’asile africain a été agressé près du camp en septembre 2010 et laissé inconscient dans les bois. Un réfugié ivoirien résidant dans un autre centre, également isolé, m’a récemment dit qu’on avait refusé de le servir dans un bar du village sous prétexte qu’il était noir. Quand nous nous étions rencontrés, il venait d’arriver en Europe. Il m’avait demandé avec une pointe d’inquiétude et de naïveté : « Est-ce qu’il y a du racisme chez vous ? ». Et bien tu t’en es rendu compte par toi-même mon cher Eric, le racisme a encore des beaux jours devant lui.

Une grève de la faim pour crier son ras-le-bol

Remontons le temps. Septembre 2010. Il a une capuche sur la tête malgré le doux soleil de la fin d’été. Il est tout pâle et les yeux fatigués. A.R, jeune afghan de 26 ans a commencé une grève de la faim pour protester contre les conditions de vie inadmissibles à Horst. A.R est dans le centre depuis 4 mois et il n’en peut plus. Il demande à ce que les réfugiés comme lui soient transférés dans un centre moins isolé de la société où les personnes puissent se déplacer, aller à des cours d’allemand et cuisiner par eux-mêmes. Après quelques jours, le jeune homme a été emmené de force à l’hôpital par les forces de police tandis que les responsables du centre affirmaient ne pas être au courant de l’existence d’une grève de la faim.

Supprimer Horst !

Plusieurs autres réfugiés ont cependant rapidement rejoint A.R dans sa protestation. Les militants et organisations de défense des droits des migrants ont également tenté d’apporter un soutien et de sensibiliser l’opinion publique en invitant la presse et en publiant des articles et vidéos. Des militants de Rostock (de la région Mecklenburg-Vorpommern) et d’Hambourg se sont rendus au centre régulièrement pendant les deux semaines de la grève. Des députés d’Hambourg ont fait le déplacement pour rencontrer les responsables du centre et discuter avec eux. La presse s’est également déplacé et a couvert l’évènement (certes modestement) [3]. Toutefois il semble que les réfugiés, premiers concernés et acteurs de cette grève n’aient pas été consultés par les visiteurs. Cette vidéo (en allemand et en anglais) filmée par des membres d’organisations d’Hambourg leur donne la parole.

A.R est aujourd’hui toujours à Hambourg. Son cas ne s’est pas vraiment amélioré puisque la République Fédérale d’Allemagne a décidé de le renvoyer en Norvège, dans le cadre de la convention Dublin II. C’est là bas qu’il avait posé sa première demande d’asile et que celle-ci a été refusée. Il sait très bien ce que cela veut dire pour lui : l’Allemagne se lave les mains et clame haut et fort ne pas expulser vers l’Afghanistan. Certes. Mais elle expulse volontiers vers la Norvège, qui elle, n’hésite plus à organiser des vols directs pour Kaboul. Traumatisé par l’idée de remettre un pied en Afghanistan, pays où il n’a jamais connu que la guerre et les violences, A.R commence à évoquer la mort et parle de suicide à demi-mot aux gens qu’il côtoie. A quelques jours du vol pour la Norvège, dans un état psychologique critique, A.R est transféré dans une clinique d’Hambourg. Il y est actuellement toujours traité pour dépression. La bureaucratie européenne, le camp de Horst et les nuits d’angoisse éternelle ont eu raison de lui. Et il sait que rien n’est gagné, il va encore falloir se battre comme un lion pour rester ici. Si on lui parle de Horst, son visage se ferme immédiatement et ses traits se durcissent.

Pour finir sur une note plus positive, j’avais également envie de parler de l’association Ultra Sankt Pauli [4] et de leurs trajets réguliers à Horst. Toutes les deux semaines, des militants du groupe se rendent en minibus au camp pour venir chercher une dizaine de personnes. L’association leur offre des billets pour aller au stade de St Pauli, en plein centre-ville d’Hambourg. Avant Noël, c’est un grand bus qui était parti chercher une cinquantaine de réfugiés afin qu’ils puissent assister à l’un des matchs clé de l’équipe fétiche des Hambourgeois. Avant de partir au stade, un grand repas avait été organisé et cela avait été le moment d’échanger, de rire et d’écouter les réfugiés. Le temps d’une après-midi, le temps d’un match de football serrés au milieu des fans de St Pauli, la bière à la main, les chants de supporters à la bouche, le temps d’oublier un peu les soucis et les barbelés de Horst…


Notes

[1] Cela s’explique par le fait que la région d’Hambourg ait recours au camp de Horst uniquement comme centre d’accueil de première instance (pendant les premiers pas de la procédure d’asile) tandis que la région Macklenburg-Vorpommern envoie des réfugiés se trouvant à tous les stades de la procédure de demande d’asile et utilise Horst à la fois comme centre d’accueil de première instance et comme logement collectif pour les demandeurs d’asile déboutés en attendant de pouvoir les expulser.

[2] Depuis le déroulement d’une grève de la faim en septembre dernier, à laquelle des militants ont apporté leur soutien aux réfugiés, les responsables du centre ont décidé de refuser l’entrée aux membres du Conseil des Réfugiés et aux personnes leur étant affiliées. Malgré les protestations des militants, il n’a pas été possible de casser cette nouvelle règle. C’est aux responsables du centre de faire la pluie et le beau temps et il n’y a pas de législation contraignante quant à l’accès des organisations sociales et politiques dans les centres, même ouverts. Ainsi, lorsque des bénévoles d’organisations politiques viennent rendre visite aux réfugiés, les rencontres se font sur le parking, devant le camp.

[3] Voir en particulier l’article de la TAZ et celui de NDR-Hambourg.

[4] L’association organise de nombreuses conférences, réunions et initiatives antiracistes. Plus d’informations ici.



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