Dans la nuit du jeudi 11 au vendredi 12 octobre 2012 les garde-côtes sont sortis en mer une première fois pour porter secours à 109 personnes se trouvant sur une embarcation à 70 miles au sud-est de Lampedusa, dans les eaux internationales de compétence SAR (Search and Rescue) en théorie maltaise. La Méditerranée –comme toutes les mers et océans du globe- est en effet divisée en plusieurs zones de responsabilité définie par chaque État pour mieux coordonner les opérations de sauvetage des personnes en détresse en mer.

Comme fréquemment dans le canal Sicile, les garde-côtes italiens sont intervenus en dehors de leur zone de compétence et ont procédé à l’opération de secours. Vers 5 heures du matin, 108 hommes et une femme ont ainsi rejoint Lampedusa et ont été conduits dans son centre de premier secours et d’accueil.

La semaine précédente, quatre groupes différents de réfugiés d’origine subsaharienne ont débarqué sur l’île, entraînant dès lors une présence conséquente de migrants dans le centre. Leur transfert vers la terre ferme est en effet rarement effectué aussi rapidement que le prévoit le statut du centre fermé. Cela s’explique par les difficultés rencontrées pour placer les migrants dans d’autres structures dans le reste de l’Italie.

Vendredi 12 au matin, le centre de Lampedusa – qui peut accueillir environ 350 personnes- n’est plus en mesure d’héberger un nombre important de nouveaux arrivants. Le ferry qui accompagne normalement les migrants en Sicile, ne partira pas demain (samedi) et aucun transfert de personnes n’a été prévu ce vendredi. Il reste donc à espérer qu’aucun migrant ne décide de débarquer à Lampedusa ce week-end.

Mais en début d’après-midi, un bateau de pêche signale la présence à environ 7 miles de Lampedusa d’une embarcation de dix-huit mètres comprenant un nombre élevé de personnes à son bord. Les trois moto-vedettes des garde-côtes et celle de la guardia di Finanza sortent immédiatement et rejoignent l’embarcation en avarie. 304 personnes -dont 49 femmes et 6 enfants- sont transbordées sur les différents navires des secours.

 

L’embarcation avec laquelle ils ont traversé la Méditerranée est également rapportée sur l’île cette fois. En effet, elles sont généralement abandonnées en pleine mer, au grand damne des pêcheurs, en raison des difficultés que représente une telle manœuvre pour les garde-côtes déjà impliqués dans une opération de sauvetage.

 

Simultanément vers 14 heures le ferry – un palladio, de la compagnie italienne Siremar- quitte Lampedusa en direction de Porto Empedocle, en Sicile. À son bord, une dizaine d’insulaires et un nombre important de camions frigorifiques transportant le poisson frais, pêché ces derniers jours. Après une vingtaine de minutes, le commandant annonce que le ferry doit faire demi-tour et rentrer au port. Ce ne sont pas les conditions météorologiques qui sont invoquées pour justifier ce brusque changement mais la situation « d’emergenza » – d’urgence-  relative à l’arrivée de 400 « clandestins » à Lampedusa et au nécessaire transfert de certains migrants pour évacuer le centre.

Sur le palladio, les passagers sont relativement calmes, laissant transparaitre une certains lassitude face à ce genre d’évènements ; ce serait la troisième fois depuis le début de l’été que le ferry ferait demi-tour pour cette raison.

Une fois sur le quai, il faut encore attendre près d’une heure avant que les bus de la coopérative n’amènent les migrants prêts à être transféré.

Cette attente anime les passagers qui anticipent les conséquences d’un tel retard, obligeant chacun d’eux à se préparer et à organiser une arrivée en Sicile après 3 heures du matin – ce qui pose notamment problème pour les cargaisons de poissons.

Et de fait, les migrants sont pointés du doigt, certains font remarquer qu’ils ont plus de droits qu’eux – lampedusains- et que les autorités en arrivent à détourner un ferry…

 

Vers 16 heures, les passagers, perplexes, assistent au croisement des migrants embarquant sur le ferry et de ceux entrant dans le port de Lampedusa après quatre jours de traversée.

L’ « urgence » de ce vendredi est également invoquée pour justifier les conditions de transfert des migrants à bord du palladio. Une centaine d’hommes et de femmes -ainsi que deux enfants de 2 et 3 ans- sont enfermés dans la seule salle réservée et accordée par la compagnie maritime, sans air conditionné jusqu’après le départ alors qu’il fait encore chaud à cette heure à Lampedusa. La plupart ne savent pas où ils vont, ni que le trajet durera au moins dix heures.

C’est une dizaine de carabiniers qui gère le transfert des migrants. Dès le départ, les deux mères et leurs bébés sont autorisés à sortir de la cabine, du moins à s’asseoir devant la porte, sur le ponton. À une vingtaine de mètres de hauteur, seules trois rangées de barres en fer horizontales protègent les passagers d’une éventuelle chute. Les carabiniers se transforment alors en baby-sitter et surveillent avec précaution les gestes des deux petits garçons surexcités, tentant de déjouer au contrôle de leurs mères.

Dans la salle l’air est irrespirable, les carabiniers l’ont compris et laissent sortir les personnes les plus vulnérables mais seulement dans un périmètre réduit. Lorsque la nuit tombe, une petite dizaine de femmes et les deux enfants sont entassées et assoupies dehors, à même le sol, sur une fine couverture les protégeant de l’humidité. Vers une heure du matin, lorsqu’il commence à pleuvoir, les deux jeunes enfants sont contraints de continuer leur nuit à l’intérieur, dans un climat suffoquant empli de fumée de cigarettes.

Vers 3 heures du matin, le ferry arrive à Porto Empedocle, les forces de l’ordre et des opérateurs de la coopérative attendent les migrants qui descendent en dernier du ferry et montent dans les bus qui les conduiront à Rome.

 

Une fois de plus, c’est l’ « emergenza » qui est mis en exergue ce vendredi. Le demi-tour du ferry, l’attente de ses passagers, le transfert des migrants dans des conditions dégradantes, tout relève d’une situation «exceptionnelle ».

Mais comment l’arrivée de quatre cents personnes relève-t-elle encore d’une urgence à Lampedusa ? L’île a pourtant vu débarquer 401 personnes le 18 août dernier, 7000 personnes au mois de mars 2011 et est une porte d’entrée majeure en Europe depuis plus de dix ans?

La gestion des arrivées, au delà du premier secours et de l’accueil, est certes complexe mais l’ « emergenza » ne devrait plus être utilisée pour occulter la précarité du système actuel de gestion des migrants. Au contraire, ces failles devraient être mieux considérées et discutées afin de définir un protocole clair des arrivées à Lampedusa et de répondre ainsi aux besoins des migrants et de la population locale.

Giusi Nicolini, maire de Lampedusa depuis mai 2012, a rappelé sur une chaîne nationale lundi 15 octobre 2012 qu’elle espérait que les personnes continuent d’arriver saines et sauves à Lampedusa. Nous partageons son sentiment humaniste mais il est grand temps de dépasser ces considérations. L’enjeu que constituent les arrivées sur l’île et au-delà, la question de l’accueil et de l’intégration de ces personnes en Italie, doit être traité de façon efficace et respectueuse des droits humains de manière à remédier à l’occurrence de telles situations.