Le 24 octobre 2020, le comité exécutif de la Fédération française de football (Comex) a décidé de suspendre l’ensemble des compétitions amateurs, départementales et régionales. Au siège du FC Mulhouse, cette décision a été reçue comme un coup de massue. Après les réglementations sanitaires qui ont limité les relations sociales et les déplacements, elle a été vécue comme celle de trop. « C’est difficile ! », réagit Issa Ndoye, le gardien de but titulaire. « On nous a coupés dans notre élan », se plaint Samir Kecha, le défenseur latéral droit.
Joueurs, entraîneurs et employés, tous ont du mal à contenir leur colère et leur frustration. Dans ce club du Haut-Rhin qui compte 560 licenciés, 20 employés et dispose d’un budget de 1,4 million d’euros, le président, Gary Allen, et son équipe tiennent le cap : les salaires des joueurs ont toujours été payés, ainsi que ceux des employés du club, mis en chômage partiel selon les recommandations de l’État (leurs salaires étant pris en charge à 85 %), malgré une perte de recettes hebdomadaires s’élevant à 4 000 euros par match non joué.
Autre conséquence de la pandémie : le retrait d’une grosse partie des sponsors. « Nous avons perdu beaucoup de partenaires. Pas sûr qu’ils reprendront l’aventure avec nous quand les choses repartiront », observe l’entraîneur et directeur sportif, Éric Descombes. Hormis le sponsor principal du club, qui n’a pas fait faux bond depuis l’arrêt des compétitions, les autres ont suspendu leur soutien financier et n’ont pas l’intention de revenir lors de la reprise, confie un employé sous le sceau de l’anonymat.
Par chance, 75 % du budget du FC Mulhouse provient d’un homme d’affaires américain, le repreneur du club depuis quelques années. Et du soutien d’une entreprise californienne spécialisée dans la nutrition sportive, Arma Sport, devenue sponsor officiel du club pour les deux prochaines saisons. Gary Allen ne baisse pas les bras malgré la défection de certains sponsors locaux. « Nous ferons face à la saison prochaine », ajoute Éric Descombes.
Les conséquences sont également lourdes pour le classement du club. Depuis deux années consécutives, le FC Mulhouse stagne en National 3 – cinquième échelon du football français –, après avoir été rétrogradé de National 2 au terme de la saison 2019-2020 pour des raisons administratives. Pour cette saison 2020-2021, l’équipe se retrouve cinquième avec six matchs joués et un match en retard sur les 26 prévus dans le championnat. La crise sanitaire et l’arrêt du championnat ont donc freiné les ambitions de remontée en division supérieure. Selon la fédération, il n’y aura ni montée ni descente cette année. Tout le monde stagne. Rageant !
Éric Descombes estime que le football amateur a été sacrifié par la fédération au profit du football professionnel. Les joueurs amateurs ont été autorisés à s’entraîner, mais non à jouer en compétition, même à huis clos. « Le championnat amateur a le même statut que la Ligue 1.Or on arrête le championnat amateur, tandis que certains clubs amateurs sont autorisés à jouer la Coupe de France. C’est ridicule ! D’autant plus que le gouvernement a reconnu que le sport en plein air ne représentait aucun risque », argumente, énervé, l’entraîneur.
« Cette période, on la vit tant bien que mal. Au départ, on était un peu optimiste. On croyait à une reprise rapide. Mais, le temps passant, cela nous affecte tous. Surtout les joueurs », raconte Éric Descombes. Ces jeunes joueurs sont quasi professionnels, le football régit leur vie. « Ils s’entraînent toute la semaine, y compris le week-end. Ne pas avoir d’objectif sportif ou de compétition les a aussi éprouvés psychologiquement.
L’impact sur les plus jeunes est sans doute plus grand, les plus petits risquent d’arrêter le football, puisque cela ne sert à rien. On essaie d’être proche d’eux en les invitant à discuter. » Luc Frechin, secrétaire général du club, refuse de se laisser aller au découragement : « J’ai eu du mal à accepter cette décision. Mais, en tant qu’employé, je travaille à préparer la prochaine saison. » Les joueurs, eux, tentent de faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Ainsi, Samir Kecha, « pour ne pas perdre la boule », répare la voiture de sa femme et la sienne, entre deux séances d’entraînement : « J’ai commandé des pièces comme des rotules, des cardans et des triangles de suspension. Cela m’a pris trois ou quatre jours pour les réparations. À nouveau désœuvré, j’ai décidé de faire du VTT », confie-t-il, aux bords des larmes. De son côté, Issa Ndoye a mis à profit cette période pour entamer des études d’entraîneur. Il a décroché son diplôme à Centre national du football de Clairefontaine le 6 mai dernier.
En dépit du contexte déprimant, les joueurs s’entraînent trois fois par semaine. « On essaie de dépasser le stade de la colère pour repartir avec enthousiasme, en espérant rattraper le temps perdu à la prochaine saison », tempère le directeur sportif. Les joueurs, eux, s’impatientent avant la reprise du championnat. « J’ai faim. J’ai hâte d’en découdre », déclare Samir Kecha. « L’athlète que je suis bouillonne intérieurement, confie Florent Okan, le défenseur central remis d’une blessure. Je n’ai pas arrêté de travailler malgré la situation, mais vous comprenez que je ronge mon frein. Je veux reprendre la compétition ! »
Abissiri Fofana
La pandémie de Covid-19 a changé notre rapport au temps et à l’espace. Plus que les contraintes spatiales imposées par le gouvernement, les restrictions temporelles ont certainement été les plus dures à supporter.
Lors du confinement, chaque jour paraissait comme un dimanche sans fin. Parce qu’il nous était difficile de nous projeter dans le futur. L’horizon étant vécu par les joueurs du FC Mulhouse comme quelque chose de vague et hypothétique.
Le temps, dit-on, est la véritable épreuve du philosophe. Avec le Covid-19, le temps est devenu une épreuve pour tous. Dans la mesure où nous attendons sans que rien de nouveau ne se passe concrètement. Et, le pire est que notre impatience ne pouvait rien changer à la donne… sauf à espérer que le taux de contagion baisse.
Au FC Mulhouse, personne n’a échappé à cette mainmise du temps. Les joueurs et le staff étaient réduits à ronger leur frein. Pour se donner l’illusion d’avoir prise sur le temps, d’aucuns ont trouvé un pis-aller. Tel est devenu mécanicien, tel a repris ses études, tel autre faisait des marches en forêt. Le plus important était de « tuer le temps ». De peur qu’il… nous rende « maboule ».
Le temps pour les athlètes et les dirigeants du club est devenu un ennemi. L’arrêt de la compétition a été ressenti comme un prolongement du temps pour réaliser les ambitions de montée en division supérieure pour le club. Résultat : cela a été ressenti comme de la frustration entraînant de la colère.
Les marches, les études etc…ont-elles aidé à dompter le temps durant les confinements successifs ? Rien n’est moins sûr.
A.F.