Charles, testeur Covid à la peine

Étudiant en médecine à l’université de Paris, Charles réalise des prélèvements nasopharyngés, dans des tentes laboratoires, depuis le début de la crise sanitaire. Une journée rémunérée à hauteur de 6 euros le test, ponctuée de confidences et de longs moments d’attente.

19 avril 2021, 9 heures du matin. Avenue du Général-Leclerc dans le XIVe arrondissement de Paris, la pharmacie du Lion ouvre ses portes. Charles arrive quelques minutes avant l’ouverture pour récupérer son matériel et monter sa tente. Prévenant, il ne manque pas de s’excuser auprès du sans-abri qui a fait de cette portion de trottoir son lieu de vie, et lui propose un café.

19 avril 2021, sur le parvis de la pharmacie du Lyon Paris XIV, Charles accueille ses premiers cllients pour des tests antigéniques
"Mon entretien d'embauche s'est résumé en un simple échange de sms"
Charles
étudiant en médecine et préleveur

L’installation est rapide, quasi routinière : organiser le plan de travail et installer la chaise, enfiler la tenue de protection et les gants, désinfecter les matériels et préparer les tests. Charles s’assoit et attend. Tout au long de la journée, des personnes aux profils variés se présentent devant sa tente, munies de leur carte Vitale.

Août 2020. Les laboratoires sont pris d’assaut, et les délais pour se faire dépister atteignent souvent plusieurs semaines. La Ville de Paris installe alors des dizaines de tentes dans les rues : 1500 tests sont proposés chaque jour, avec une réponse garantie en quinze minutes. Aujourd’hui, ces tentes font partie du paysage : elles occupent les trottoirs devant les pharmacies, sur les grands axes et près des carrefours.

"En un instant, j'étais formé"

Charles a fait partie d’un recrutement de masse, par une entreprise privée née avec l’apparition de la Covid, pour « des missions de dépistage en tente » aux quatre coins de la capitale. L’entretien d’embauche s’est résumé à un simple échange de SMS. On lui a simplement demandé s’il était formé et disponible. Le jour même, son premier rendez-vous a été fixé. Personne n’a vérifié son cursus d’étudiant en médecine.

Charles n’a suivi aucune formation pour effectuer les prélèvements nasopharyngés, contrairement aux recommandations de la Société française de microbiologie (SFM). « On m’a expliqué la théorie pendant quelques minutes, en un instant  j’étais formé, se souvient-il. Tout était fait dans l’urgence, un peu n’importe comment. »

Des prélèvements strictement encadrés

Dans un communiqué du 8 avril 2021, l’Académie nationale de médecine rappelle que la pratique des prélèvements doit être réservée aux professionnels de santé formés pour la réalisation de ce geste dans des conditions techniques rigoureuses : « Si certaines complications peuvent être considérées comme bénignes, d’autres, plus graves, commencent à être mentionnées dans la littérature médicale, notamment des brèches de l’étage antérieur de la base du crâne associées à un risque de méningite. »

La pratique des prélèvements doit faire l’objet d’un encadrement strict. Les étapes de l’apprentissage sont décrites dans la « fiche de compétence et de formation-habilitation au frottis rhinopharyngé et nasal profond pour recherche de SARS-CoV-2 (Covid-19) », disponible sur le site de la SFM.

Cette formation théorique et pratique détermine les critères à valider lors de l’examen. « Nous avons diffusé la fiche de compétence à l’ensemble des biologistes, dans le public comme dans le privé. Je ne vois pas comment un laboratoire aurait pu ne pas en être informé », s’étonne Gérard Lina, président de la SFM.

Racoler pour faire du chiffre

L’employeur de Charles, peu regardant sur le savoir-faire de ses collaborateurs, s’est également montré léger  sur leurs conditions de travail. Les prélèvements étaient vendus comme le bon plan du moment : Charles a bien vite déchanté. Il a passé tout l’hiver à faire des tests dans des conditions à peine tenables. Un chauffage d’appoint lui a été refusé dans une tente maintenue à moitié ouverte pour attirer plus de monde.

« C’est un véritable business, confie-t-il. Comme on est payé au test, ils nous poussent à racoler les gens dans la rue pour faire plus de chiffre. » La rémunération est généralement fixée à 6 euros le test. « Avec de la chance et un peu de bouteille, on peut négocier son salaire à la hausse. » Il y a des astuces pour gagner plus, et certains quartiers sont plus rentables que d’autres. Un étudiant qui sait se vendre est en mesure de négocier pour travailler dans les tentes qui « marchent bien ».

Pour appâter davantage, l’entreprise propose des primes à ses employés. Des événements ponctuels baptisés « Black April » ou « Super Mai » sont organisés à des moments-clés de l’année. Il s’agit de véritables opérations de marketing : vendre un maximum de tests en promettant une rémunération généreuse aux étudiants.

Diane Omont Orluc

Photo d’ouverture : Charles analyse un prélèvement en tente Covid, le 19 avril 2021, pharmacie du Lion Paris XIV. ©Diane Omont Orluc