Lyon, discothèques et clubs fermés : Le Sucre se réinvente

Le Sucre fait office d’institution pour bon nombre de noctambules. Hélas ! Sur l’ensemble du territoire, les clubs sont fermés depuis mars 2020. Mais la salle lyonnaise a su adapter son activité pour garder le lien avec sa communauté. Comme bon nombre de secteurs, le numérique a joué un rôle primordial. Mais perché au-dessus de la Sucrière, quelques basses résonnent encore dans la salle.

Le Sucre a toujours su attirer sa clientèle grâce aux basses les plus sombres et à leurs tonalités endiablées. Connu pour sa programmation éclectique tournée vers l’univers des musiques électroniques, cette période de crise n’a pas affaiblie cette volonté d’offrir au public le meilleur. Malgré ses portes closes, le lieu est toujours là, derrière la barrière bloquant l’accès aux escaliers. Comme pour bon nombre d’établissements en France, les perspectives d’une réouverture restent encore incertaines malgré une réouverture autorisée à partir du 9 juillet.

Des rendez-vous hebdomadaires en ligne

Pour pallier cette absence d’activité, les équipes ont créé des rendez-vous hebdomadaires en ligne, parfois nostalgiques, parfois optimistes. Tout au long de l’année 2020 et chaque jour de la semaine, la musique électronique était traitée sous un angle différent, la page Facebook faisant office de scène. 

Ainsi, le mardi, on parlait d’un film. Grâce à une publication, le public s’est vu suggérer [LE FILM DU MARDI]. De quoi revoir un peu ses classiques électro. 

Le mercredi, Le Sucre présentait [MERCREDI REWIND]. À la vue des photos, la mélancolie a sans doute envahi tous ceux qui ont un jour foulé ce dancefloor.

Attaché à son image d’incubateur de talents, chaque vendredi, le club présentait à travers le [LOCAL FRIDAY] un artiste local. De quoi faire briller les DJ les plus talentueux de la région.

Des résidences d’artistes

Dès le premier jour de confinement, le club a su rebondir. Impensable d’annuler la résidence mensuelle de Pablo Valentino. Qu’à cela ne tienne, l’événement aura lieu en ligne.

En bon repaire de DJ, Le Sucre ne pouvait fermer complètement ses portes aux professionnels de la musique. Alors, en septembre 2020, l’équipe a mis en place des résidences d’artistes. 

Depuis son ouverture en 2013, le rooftop a appris à soigner son public avec une programmation des plus pointues, jouant le rôle de tremplin pour les artistes locaux, et plus largement français, européens et internationaux. Et, même sans la présence des danseurs, ces derniers sauront se donner rendez-vous en ligne pour assister aux résidences concoctées par l’équipe.

Le livestream dopé par la pandémie

Les musiques électroniques sont des habituées du live stream, le premier confinement a été productif, les DJs coincés chez eux ont enchaîné les captations pour offrir à leur public confiné une petite dose de cette musique qu’ils affectionnent tant. A l’image de Helena Hauff, DJ allemande, depuis sa quarantaine berlinoise.

Le premier à tester le dispositif fut Mangabey, artiste local aux influences nord-américaines. La résidence lui a permis non seulement de ne pas perdre la main mais aussi de faire évoluer ses prestations scéniques.

Parmi les artistes locaux mis en avant lors de ces résidences, on compte également LB aka LABAT.

Une résidence toute trouvée pour finir son nouveau live intitulé «1994».

La place de la femme dans le secteur

« L’idée c’est de mettre en avant les femmes qui sont trop peu nombreuses sur scène [...] »
Maëva
Chargée de production
Le Sucre

La crise sanitaire a laissé place à une réflexion autour du vivre-ensemble, de la tolérance, ou encore de l’égalité. On compte parmi ces enjeux la place de la femme, et plus précisément celle qu’elle tient dans le secteur des musiques électroniques. 

Si les résidences se sont imposées comme des événements indispensables pour le public lyonnais, le 13 juin dernier, Le Sucre a accueilli le premier événement du projet Unit Sœurs. Dix heures de mix réalisées par une trentaine de DJ femmes locales, et retransmises en direct sur la page du club.

«L’idée c’est de mettre en avant les femmes qui sont trop peu nombreuses sur scène et qui ont moins accès que les hommes à ce type de projet. Et pourquoi pas dénicher les prochaines premières parties du Sucre lorsque le club rouvrira.» – Maëva, chargée de production à Le Sucre

Olivia en plein apprentissage auprès de Bernadette aux platines du Sucre - Le 8 mai 2021 - © Louise Damezin

Parmi les filles qui ont pris place derrière les platines, on retrouve Bernadette, à l’initiative également d’un collectif 100 % féminin, « Move UR Gambettes ».

Un projet qu’elle a développé aussi sur les ondes d’Ola Radio.

La DJ grenobloise donnait déjà des cours de mix, alors, quand Le Sucre lui a proposé de passer les portes du club en tant que formatrice, elle n’a pas hésité.

« [...] Je pensais bêtement que les choses avaient évolué et qu’avec mes petits camarades platinistes nous avions dignement gagné notre statut et notre ticket d’accès au "monde de la culture".[...] »
Laurent Garnier
DJ et Producteur

Devenu lieu d’accueil du festival Nuits sonores, organisé depuis presque vingt ans par l’association Arty Farty, Le Sucre reçoit également des artistes mondialement connus. À la vitesse où la billetterie se vide, on peut s’attendre à une soirée mémorable. DJ et public retrouveront le chemin de l’ascenseur du rooftop lorsqu’il reprendra du service.

Si le club a su stimuler son public en vue de la réouverture, cela fait déjà plus d’un an que le secteur reste dans l’attente de décisions institutionnelles. On se souvient de la lettre ouverte rédigée par Laurent Garnier, figure de l’électronique française, à la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, publiée sur son site internet en octobre dernier.

« C’est étrange car en tant que Officier des Arts et des Lettres, Chevalier de la Légion d’Honneur (remise par un ex-ministre de la culture qui a saisi de longue date la place éminente de la nuit dans le vaste espace de la culture et de la création) et DJ globetrotter (comme d’autres artistes de notre pays, je fais indirectement rayonner la France depuis plus de 30 ans à l’étranger) je pensais bêtement que les choses avaient évolué et qu’avec mes petits camarades platinistes nous avions dignement gagné notre statut et notre ticket d’accès au « monde de la culture ». Mais force est de constater qu’apparemment ce n’est toujours pas le cas. » – Laurent Garnier – DJ et producteur français

Soucieux d’offrir une multitude de formats à son public, Le Sucre a rejoint Club Culture, et ce, dès 2019. Avec une quarantaine d’autres établissements et sous l’égide du collectif Culture bar-bars, a été lancé un sondage auprès de la population concernée afin de proposer aux pouvoirs publics un protocole de réouverture adéquat.  

«Ce sondage est la preuve de l’appétence de nos publics pour les projets culturels que nous défendons. Notre public, jeune et féru de musiques actuelles et électroniques, d’ambiances festives et conviviales, souhaite retrouver le plus vite possible nos établissements, traduisant ici envers eux une grande confiance, un fort besoin de re-socialisation et une volonté de re-découverte artistique. Pour cela, ils et elles sont majoritairement prêt·es à se conformer au pass sanitaire, et nos établissements sont prêts à mettre en place ce protocole.» – club-culture.org

Plus largement, le collectif entend faire reconnaître le secteur en s’appuyant sur un parcours solide et un constat clair : les clubs, à l’instar des salles de concert, sont des tremplins d’artistes locaux, nationaux et internationaux. 

Chez nos voisins allemands, la mobilisation de la Commission des clubs de Berlin a permis aux boîtes de nuit d’obtenir un statut similaire à celui dont bénéficient les théâtres, les opéras ou les salles de concert. Cela permet d‘envisager un avenir plus serein et d’espérer une meilleure considération pour des établissements qui représentent un pan capital du secteur culturel. 

Louise Damezin