« Sur le pont des Arts, on ne se croit pas à Paris, c’est très provincial ». L’œil perçant, le geste sûr, aérien, le dessinateur Yann Le Houelleur est à la fois virtuose, funambule, un homme qui aime partager et s’exprimer.
Son carton à croquis est fixé sur le parapet et sa main droite joue avec les crayons de couleur. De l’ocre pour le Pont-Neuf en face, du vert en panache pour un arbre, mi-clair mi-foncé, la Seine bleu-vert étale, un second panache, un peu comme une tornade pour un ciel bleu et blanc. Manque le rouge que l’on retrouve à la proue d’un bateau amarré à un quai blanc, légèrement bruni.
Fondateur et principal contributeur de Franc-Parler, un journal « en toute franchise », se plait-il à préciser, Yann Le Houelleur s’est entouré de quelques amis et collaborateurs au sein de l’association Rebondir. Chaque numéro – une vingtaine de pages au minimum chaque trimestre – comporte deux parties. Le premier cahier, consacré à la France et à l’international, est suivi d’un second, réservé à la région Ile-de-France et plus particulièrement la commune de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) où réside l’artiste.
Pas question donc pour lui de s’enfermer dans un atelier. Franc-Parler lui permet en période de Covid de continuer à partager son art avec ses lecteurs. Il n’est ainsi pas rare que ses croquis et dessins illustrent certains articles du journal.
Yann le Houelleur aime parler. Beaucoup. De tout. D’art, de politique, de société. Il est intarissable. Il improvise.
« Un artiste de rue, explique Yann Le Houelleur, ne sait pas ce qu’il va dessiner, c’est une aventure statique et une aventure toujours mouvante dans sa tête ».
Pour être artiste de rue, il faut donc cumuler des valeurs : sincérité, spontanéité, amour du travail, discipline, souplesse, partage. Et courage. La rue peut être dangereuse. Et le climat n’est pas toujours clément. Que l’on soit à Gennevilliers, rue de Bucy ou au Pont des Arts à Paris, il faut s’adapter à son environnement, aux commerçants qui travaillent sur place, ou répondre aux demandes régulières des policiers qui parcourent la capitale.
Avant de créer dans la rue, cet ancien diplômé du Centre de formation des journalistes (CFJ) à Paris a été journaliste en France et à l’étranger pendant une trentaine d’années (voir time line). Voici les grandes dates de sa vie professionnelle, depuis sa sortie du CFJ en 1984 :
Yann Le Houelleur affirme avoir quitté un Brésil, sous la présidence Lula, qui s’enfonçait dans la corruption et la violence. A cela, s’ajoutaient des démarches administratives toujours compliquées pour un étranger.
Avant de rentrer en France, Yann Le Houelleur avait commencé à dessiner au Brésil. La création n’a donc pas été une révélation ou une découverte. Bien au contraire, pour cet artiste au franc-parler, le lien entre l’art et le journalisme est évident et naturel.
« Le journalisme est une forme d’art, c’est ce qui m’a valu d’être souvent déconsidéré dans le métier. Art de savoir bien écrire, art de bien mettre ses articles en page, art du bon mot, soigner sa copie ».
Pour lui, le journaliste doit « traduire une sensibilité ». Et, à l’encontre des hommes et des femmes du métier, Yann Le Houelleur a la dent dure.
« Aujourd’hui, je m’aperçois que les journalistes sont de grands insensibles, qui donnent parfois envie d’avoir une faim de pouvoir et non pas d’avoir le journalisme pour fin première ».
« Le monde est au négativisme », déplore le journaliste au franc-parler. « Il faut donner de l’énergie aux autres », assume-t-il. Pour poursuivre l’expérience de Franc-Parler, il cherche de nouvelles collaborations, en France et à l’étranger. Et, au-delà de contributions enrichissantes, des lecteurs. Yann Le Houelleur travaille aujourd’hui à un système d’abonnements.
Le déconfinement pourrait lui profiter en installant un peu plus d’ouverture et d’optimisme dans les esprits. En toute franchise, Yann Le Houelleur se projette avec bonheur vers l’avenir. Mais le chemin sera long, il le sait.
Depuis la réouverture des terrasses des cafés, les commandes repartent. Paradoxalement, cet optimiste, cet adepte de l’énergie positive est plutôt pessimiste quand on l’interroge sur l’après-Covid. Le tourisme, estime-t-il, ne se relèvera jamais totalement de la crise. Au point qu’il s’interroge sérieusement sur l’évolution de sa vie professionnelle.
Pourrait-il être amené un jour à abandonner le plaisir de dessiner « à ciel ouvert » ? Une question qu’il se pose en tout cas, surtout à son âge. Alors le journalisme ne serait plus seulement une diversification, mais une reconversion. Ou plutôt un retour aux sources.
Le déconfinement, le Grand Paris Express, Cuba. Mais aussi l’histoire d’une étudiante chinoise qui n’a pas réussi à trouver un job pour financer ses études en France. Une série de poèmes, des sujets sur les jardins partagés, l’implantation du hard discounter Aldi à Gennevilliers.
Parmi les thèmes privilégiés, Yann le Houelleur cite encore les pavillons de banlieue. « Le drame des pavillons en voie d’extinction », titre ainsi le fondateur de Franc Parler. Un sujet qui permet à l’intéressé de marier écriture et dessin dans un même article. «Le pavillon de banlieue, c’est la nostalgie d’un monde qui part et dont on ne sait pas garder la trace», déplore-t-il. Une tendance qui va s’accélérer avec la réalisation du projet de Grand Paris Express. Entre nostalgie et futurisme, la banlieue se métamorphose à grande vitesse. F.P
Photo d’ouverture : Yann Le Houelleur entouré de ses dessins et présentant son journal Franc-Parler, le 27 avril 2021 à son domicile de Gennevilliers
© François Pargny