Paris XVe. Vaija Naravane s’approche de sa bibliothèque et extrait des rayonnages les livres d’auteurs étrangers qu’elle a publiés lorsqu’elle était éditrice chez Albin Michel. Après avoir embrassé une carrière de journaliste en Europe, cette Indienne couronnée de succès aurait pu couler des jours heureux entre la France et son pays natal. Ecrire ses mémoires, refaire le monde avec ses confrères journalistes ou aborder les problèmes géopolitiques avec ses amis diplomates… Le destin en a décidé autrement lorsque l’université Ashoka, près de New Delhi, lui propose de créer une faculté de journalisme il y a six ans.
Elle bataille, aujourd’hui, pour que l’une de ses élèves vienne effectuer son master en droits de l’homme et action humanitaire à Sciences-Po Paris dès septembre 2021.
Brillante étudiante en journalisme à l’université Ashoka, Sanya Chandra, 20 ans, a non seulement réussi l’examen d’entrée à l’Institut d’études politiques de Paris, mais aussi à la London School of Economics, à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève et à l’École des études orientales et africaines de l’université de Londres !
Vaiju Naravane soutient pleinement le projet de Sanya car elle est très attachée à la France, mais un obstacle demeure : le coût. Les 18 000 euros de frais de scolarité que doivent payer chaque année les étudiants non européens à Sciences-Po peuvent faire l’objet d’exonération en fonction de la situation économique des parents. Mais il reste les frais d’hébergement, de nourriture…
Les parents de Sanya Chandra travaillent pour le gouvernement indien, et leurs revenus sont peu élevés. Le couple a deux enfants, et ne peut leur offrir des études à l’étranger que si chacun obtient une bourse. « Les parents sont prêts à vendre leur terrain pour financer les études de leurs enfants, à condition que la moitié revienne à la fille, et l’autre moitié au garçon. C’est extraordinaire, parce qu’en Inde, entendre les parents dire que “la moitié revient à la fille”, c’est génial », déclare avec enthousiasme la journaliste.
C’est une des raisons pour laquelle Vaiju Naravane a rejoint la Indian Students Foundation France. « Le but de l’association est d’aider des jeunes qui ont prouvé leur excellence, qui ont réussi le concours d’entrée à Sciences-Po mais qui ne peuvent pas venir étudier par manque d’argent. » Créée en 2016 par Christophe Jaffrelot, politologue spécialiste du sous-continent indien et enseignant à Sciences-Po, et Jean-Louis Lavergne, cofondateur d’un Club de consultants altruistes, la Indian Students Foundation cherche des mécènes auprès des entreprises.
Sanya Chandra présente son projet dans la vidéo ci-dessous (source Indian Students Foundation) :
« Il faut 25 000 euros par an pour couvrir les besoins de l’étudiante, hors frais de scolarité. Nous sommes prêts aussi à donner un peu d’argent nous-mêmes, confie Vaiju Naravane. Quand Sanya viendra à Paris, je l’hébergerai la première semaine. Nous sommes là pour l’aider à s’adapter à la vie française. Une Indienne qui vient pour la première fois est un peu perdue, car Paris n’est pas facile. Le but est d’accompagner ces étudiants jusqu’à ce qu’ils prennent de l’assurance. »
En 2015, Vaiju Naravane se voit proposer d’établir le Département d’études des médias, du cinéma et de la communication d’Ashoka, en Inde. « Quand je suis arrivée, il y avait un bâtiment administratif et c’est tout. J’étais seule avec 17 étudiants en journalisme. Cinq ans plus tard, ils sont plus de 400. Treize cours différents sont proposés chaque semestre. »
Christophe Jaffrelot, cofondateur de la fondation Indian Students France, fait un appel aux dons pour Sanya Chandri sur le site de sa fondation.
La directrice du tout nouveau département média fait alors construire un studio dernier cri pour la radio, la télévision et l’editing. « J’ai beaucoup travaillé, souvent très tard le soir. Petit à petit, la structure a grandi. J’ai pu recruter des enseignants. Aujourd’hui, nous sommes neuf professeurs. Et nous allons suivre cette courbe ascendante. »
À l’instar des universités anglo-saxonnes, les établissements privés indiens ont recours au mécénat. La diaspora indienne a renforcé ce phénomène. En 2012-2013, des Indiens expatriés aux États-Unis et sortis de prestigieuses universités américaines ont décidé de rendre à la société indienne ce qu’ils ont reçu grâce à leur éducation. Et parce qu’ils ont gagné énormément d’argent dans les logiciels, ils ont fondé, en 2014, l’université Ashoka, du nom d’un grand empereur indien converti au bouddhisme. Le campus est situé à Sonipat, dans le Haryana, à deux heures de New Delhi. À ses débuts, le projet attire une centaine de donateurs dont trois particulièrement généreux.
Le cursus de journalisme prépare à une licence en trois ans. « Le processus est extrêmement sélectif. Un master spécialisé de deux ans va démarrer à la rentrée. Les étudiants peuvent également rester une quatrième année pour obtenir un diplôme “post-graduate”, spécialisé dans la réalisation, le documentaire, le cinéma ou le journalisme d’investigation. Tous nos cours sont dispensés en anglais. »
A Delhi, les frais de scolarité, comprenant la résidence et la nourriture, s’élèvent à 9 000, voire 10 000 euros par an. Mais 10 000 euros, pour une famille indienne, est une somme conséquente : « C’est pourquoi des bourses d’études sont attribuées à hauteur de 50 à 75 % par l’université, en fonction de la situation économique des parents. »
Christine Bois-Dumont