Une halte à Paris pour les migrants

Créée en mai 2019, la Halte humanitaire, située au centre de Paris, accueille des migrants arrivant à la capitale et leur propose un suivi social, médical, administratif, mais également divers ateliers pour tromper l’ennui. Un lieu apaisé, bienvenu après la situation chaotique des campements, porte de la Chapelle, et du premier confinement. Mais un lieu en sursis…

Le 7 novembre 2019, la préfecture de Paris faisait évacuer les campements de la porte de la Chapelle. Lors de l’évacuation, la police ordonne la mise à l’abri de 1 600 personnes. Dans des gymnases, le Samu social sélectionne les exilés ayant droit à un logement ou à un hôtel. Les autres repartent à la rue. Ces exclus se déplacent alors un peu plus à l’est, et bientôt 2 500 personnes se regroupent de nouveau dans des campements de fortune à la porte d’Aubervilliers et à Saint-Denis.

Pour les membres des associations qui travaillent au plus près de ces populations ultraprécaires, le burn out est général. « Depuis 2015, les campements aux abords de la porte de la Chapelle se reformaient sans cesse avec l’arrivée de nouvelles personnes », se souvient Marie Cougoureux, cheffe de service à l’Armée du salut, qui supervise l’administration de la Halte humanitaire. «On oscillait entre 700 et 3000 personnes. Les équipes étaient au bout du rouleau.» Avec l’épuisement, les tensions entre associations s’accumulent, mais aussi entre bénévoles et salariés.

"On s’est retrouvés avec 3 200 personnes et 230 douches à assurer chaque jour."
Tatiana Kalouguine
Marie Cougoureux, cheffe de service à l'Armée du salut.

Des associations au bord du burn out

« C’est alors que l’idée de faire grève est arrivée, pour mettre l’État face à ses responsabilités », poursuit-elle. Pour ne pas interrompre la distribution des 700 repas de midi et du soir, l’Armée du salut décide de soutenir la grève sans y participer, comme d’autres associations telles que La Chorba ou Les Restos du cœur. 

En mai 2019, c’est donc dans ce contexte de tension générale que la ville de Paris entre en contact avec l’Armée du salut, qui effectuait des distributions alimentaires porte de la Chapelle. Il est décidé de créer un accueil de jour, pour parer au plus pressé. La Halte humanitaire débute, d’abord à la porte de la Chapelle au plus près des campements, en collaboration avec les maraudes de France terre d’asile, du Samu social, d’Aurore et de l’Armée du salut et des équipes CMS de la Ville de Paris.

Des réunions pour calmer la grogne

Le planning des permanences et ateliers est affiché dans la salle de repos. © C. Cerdan

Puis arrive le premier confinement, et la politique de mise à l’abri des migrants évolue. En mars 2020, elle devient inconditionnelle et le restera jusqu’au 1er juin 2021, date de fin de la trêve hivernale. En novembre, la Mairie de Paris propose au collectif d’associations de s’installer dans les anciens locaux de la mairie du 1er arrondissement. Pour l’équipe d’Anne Hidalgo, la maire de la capitale, l’enjeu est politique : la Halte devient une vitrine pour la ville, qui prend le relais d’un État défaillant. Mais l’accueil de cette population en plein centre de Paris provoque une levée de boucliers d’un groupe de riverains aussi bruyants qu’inquiets. Une pétition circule. 

L’objectif pour les organisateurs du lieu est désormais de calmer la grogne. « Pendant tout le mois de novembre, nous avons organisé des réunions pour rassurer les riverains qui ont beaucoup de pouvoir ici. Nous n’avions jamais fait ce travail ailleurs », explique Marie Cougoureux. Les riverains ne sont pas plus remontés que dans les 18e et 19e arrondissements, mais dans ces quartiers du Nord-Est parisien la population, plus défavorisée, semble moins préoccuper les pouvoirs publics. « Dans le 1er arrondissement, ça a pris des proportions énormes », se souvient-elle. Certains arguments sont complètement déconnectés de la réalité, mêlant racisme et islamophobie en pleine affaire Samuel Paty. « Finalement, nous avons été sauvés par le confinement, car les habitants du quartier n’ont pas pu sortir de chez eux. Et aujourd’hui on peut leur présenter des chiffres rassurants », assure la responsable de l’Armée du salut.

Huit mois plus tard, les polémiques se sont tues, et la Halte humanitaire propose un accueil tous les jours de 9 heures à 18 heures aux exilés, dans le calme et la discrétion. Des douches ont été installées. Une salle, ouverte aux exilés, leur permet de se reposer, de changer de vêtements, de boire un thé ou un café, de recharger leur téléphone. Ici, ni éclats de voix ni rires, les visages masqués sont sérieux et fatigués. Les rendez-vous avec des assistants sociaux, des médecins et un psychiatre rythment les journées. Car quand on a connu l’enfer de l’exil et d’un voyage très périlleux, l’inertie forcée, ajoutée à l’angoisse d’un avenir incertain, peut conduire à des décompensations psychotiques. Pour ceux qui ont déposé une demande d’asile, le temps est long, et le désœuvrement la règle. Privés du droit de travailler et de circuler librement, ils sont suspendus à la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui peut se faire attendre des mois.

Un soutien nécessaire

La Halte humanitaire a ainsi mis en place une série de cours et ateliers. Tous les jours, les exilés, surtout des hommes jeunes, pour la plupart afghans, somaliens, érythréens et soudanais, peuvent mettre à profit ce temps d’attente pour apprendre le français, découvrir des pratiques culturelles et acquérir des rudiments d’informatique ou élaborer un CV.

Des bénévoles motivés par l’envie d’aider les plus précaires ont été recrutés ; quatre-vingt-cinq personnes, réparties en quatorze groupes, bénéficient de cours de français pour débutants ou plus avancés. Des cours d’informatique ont lieu plusieurs fois par semaine. La fondation de l’Armée du salut a également mis en place des ateliers artistiques : sculpture, dessin, peinture et chant… Au total, seize associations se répartissent les tâches rue Perrault.

Quatre associations gèrent les aspects médicaux, trois prennent en charge le social, et la Croix-Rouge s’emploie à rétablir des liens familiaux.

Cependant, la Halte est en sursis, car l’ancienne mairie du 1er arrondissement accueillera bientôt une maison pour les jeunes du quartier. Les travaux ont d’ailleurs déjà débuté, obligeant les organisateurs du centre d’accueil à faire autant dans moins d’espace. Ainsi va la vie des associations et des aidants, sans cesse pris dans des enjeux politiques qu’ils ne maîtrisent pas.

En septembre, l'ancienne mairie du 1er arrondissement accueillera les jeunes du quartier.

Carole Cerdan

Les nationalités dans les campements

Il y a deux grandes voies migratoires vers l’Europe :

  • Celle des Balkans, ouverte par les Syriens en 2015. Ils ont été renvoyés en Turquie et ce sont aujourd’hui les Afghans qui arrivent majoritairement par cette voie. Il y a aussi des Pakistanais et quelques Syriens de nouveau. Beaucoup de ces gens sont “dublinés”, c’est-à-dire qu’ils ont effectué leur demande d’asile dans un autre pays de l’Union européenne et se retrouvent dans l’obligation de retourner dans le pays en question (procédure dite « de Dublin »).
  • La voie méditerranéenne, qui passe par la Libye : majoritairement les gens qui arrivent par la mer sont érythréens, somaliens, soudanais et sud-soudanais ainsi que guinéens. Rappelons que c’est la voie la plus meurtrière : entre 2014 et 2020 plus de 20 000 migrants sont morts en Méditerranée.

Si l’on trouve dans les campements les nationalités citées ci-dessus, elles ne sont pas forcément représentatives de l’ensemble des demandes d’asile. On y rencontre en effet très peu de Géorgiens, d’Albanais ou de Bangladais, qui sont pourtant très nombreux à demander asile à la France.