Contre la «coronafolie», l'extrême-droite se démasque

Par Charles Henry (texte) et Sabrina Dolidze (photos)

Confinement, obligation du port du masque, couvre-feu… Les restrictions sanitaires sont vécues à l’extrême droite comme une « tyrannie ». Pour Florian Rouanet, un ancien militant d’un groupuscule ultranationaliste, il ne reste dans l’espace public que les manifestations organisées chaque samedi par le parti Les Patriotes pour les contester. En attendant l’émergence d’une opposition plus dure.

« Police complice, milice de l’anti-France ! », lâche un militant des Patriotes, place Pierre-Laroque à Paris (7e arrondissement) sous les fenêtres du ministère de la Santé. L’invective est étouffée par une « Marseillaise », pendant que quatre policiers verbalisent un sympathisant pour non-port du masque. Autour d’eux les contestations indignées fusent. Bravache, Florian Philippot, le président des Patriotes, baisse son masque et se joint au chœur des protestataires. Le parti souverainiste entame samedi 30 janvier son 13e rassemblement contre la politique sanitaire du gouvernement. Florian Rouanet ne porte pas non plus de masque. « À chaque fois que je viens, il y a toujours plus de monde », confie-t-il. Deux à trois cents personnes ont répondu à l’appel ce jour-là.

Depuis le premier confinement, le parti des Patriotes joue à fond la carte de la « résistance à la dictature sanitaire » pour se faire entendre. Il revendique 14 000 adhérents en décembre contre seulement 2 000 en mars 2020. Sur CNews, Florian Philippot appelait encore le 31 janvier à « brûler ces masques qui ne servent à rien ». Un discours qui paye : chaque samedi depuis fin octobre, il rassemble des sympathisants au-delà des souverainistes, le cœur de son électorat. Des tenants de théories complotistes y côtoient des figures de l’extrême droite comme Florian Rouanet.

Les Patriotes mobilisent chaque samedi depuis octobre sur l’opposition à la politique sanitaire du gouvernement.

Zemmour et Soral

Cheveux coupés ras, ce jeune Parisien se rend aux mobilisations des Patriotes depuis début janvier. « Philippot est le seul à s’être saisi de la crise sanitaire », explique-t-il dans sa chambre aux murs peints en bleu roi et parsemés de mosaïques réalisées par sa mère. Assis à son bureau dans son fauteuil de gameur, Florian Rouanet remonte le temps.

À 30 ans, il a déjà un passé tumultueux de militant. A priori rien ne l’y prédestinait. « Mon père était psychanalyste et plutôt de gauche souverainiste [comprendre tendance Chevènement]. En 2002, après avoir voté Jospin, mon père a donné sa voix à Jean-Marie Le Pen. C’était un original. »

Son engagement politique a débuté quand il avait 20 ans. « Au départ, j’ai vu des vidéos de Zemmour et de Soral sur Internet. Ça m’a valu pas mal de soucis avec ma famille. » Il vit chez sa mère, avec son frère. Quitter le foyer familial n’est pas à l’ordre du jour. Après avoir été chef de rayon dans la grande distribution, il entame tout juste une reconversion professionnelle.

Dans la cave de ses parents, Florian Rouanet a installé un punching ball pour continuer à s'entrainer. Il pratique la boxe depuis dix ans. Photo ©Sabrina Dolidze

Alors même qu’il s’initie aux idées d’extrême droite, Florian Rouanet se convertit à 22 ans au catholicisme, en choisissant une obédience conservatrice et dissidente : le sédévacantisme qui ne reconnaît ni la légitimité des papes depuis 1958, ni les décrets du concile Vatican II. Dans cette même logique, il adhère aussi au mouvement associatif Deus vult (Dieu le veut en latin), qui prône un christianisme de reconquête.

« Philippot est le seul à s’être saisi de la crise sanitaire »

C’est au côté de Philippe Ploncard d’Assac, essayiste connu de la mouvance nationaliste, qu’il forge ses convictions idéologiques. Mais c’est en Pierre Sidos, le fondateur de l’Œuvre française – mouvement d’extrême droite fondé en 1968 –, qu’il confie avoir trouvé un « père spirituel » après le décès de son père lorsqu’il est âgé de 18 ans. Il finit par adhérer à ce groupuscule en 2013, l’année même de sa dissolution, suite à l’affaire Clément Méric, ce militant antifasciste mort sous les coups d’un skinhead d’extrême droite. Collage d’affiches, organisation de réunions… Florian Rouanet milite activement au sein du mouvement qui continue d’exister dans l’illégalité avant de le quitter en 2016, « à cause de bisbilles ».

Depuis le jeune homme garde de solides attaches avec la « fachosphère », même s’il dit s’être assagi à cause d’une condamnation pour injure antisémite en janvier 2019. Il revendique son admiration pour l’Italie de Mussolini et pour l’Allemagne d’Hitler. Ses collaborations se poursuivent régulièrement avec deux publications historiques de l’extrême droite : Militant et Rivarol. Pour cette dernière, il anime des entretiens vidéo avec Jérôme Bourbon, le directeur de publication.

« Moi, j’appelle ce que l’on vit
la tyrannie 19 »

Pour l’activiste qu’il reste, les Patriotes font figure de pis-aller. « Depuis le deuxième confinement, c’est le seul événement politique auquel on peut assister », reconnaît-il. Il y retrouve des amis de la Cocarde étudiante, le syndicat universitaire souverainiste, et des Zouaves de Paris, un groupuscule de l’ultradroite qui s’est illustré pour sa violence pendant les manifestations des Gilets jaunes.

Sur son blog, un billet est d’ailleurs consacré à « l’opportunité » qu’offre la crise sanitaire au parti de Florian Philippot. Son discours populiste « contre la coronafolie » l’intéresse par sa capacité à « frapper les esprits ».

Pour ce qui est de la critique des restrictions sanitaires, Florian Rouanet adhère pleinement aux thèses défendues par les Patriotes : la gravité du Covid-19 est exagérée, même s’il ne nie pas le virus. « Je fais quand même attention aux autres, surtout dans les espaces clos. » En revanche, il ne voit pas du tout l’intérêt du masque à l’extérieur. Il ne va pas non plus jusqu’à braver la loi : au mieux il se contente de porter son cache-col ; au pis il sort un masque qu’il conserve dans sa poche.

Florian Philippot s’exprimant place Pierre-Laroque le 30 janvier. Photo © Sabrina Dolidze 

Le partisan ultranationaliste rejoint également les Patriotes sur les thèmes du Frexit et de la lutte contre l’immigration massive.

Mais sur le fond, il considère que ce parti est trop « mou du genou », comme le Rassemblement national d’ailleurs. « Ces partis se réclament de la démocratie alors que ce système est clairement à bout de souffle. » Les positions des Patriotes sur les restrictions sanitaires ne lui semblent pas assez tranchées non plus : « Je ne parlerais pas de résistance. » Un mot trop gaulliste à son goût. Lors du rassemblement du 30 janvier, il ne peut s’empêcher de réprouver la présence de drapeaux tricolores frappés de la croix de Lorraine, symbole par excellence de la France libre sous l’Occupation. « Il ne s’agit pas non plus d’une dictature sanitaire. Moi j’appelle ça la tyrannie 19 », assène-t-il.

Entre complotisme et extrême-droite, la lutte contre la « coronafolie » surfe sur la peur.

« La grande réinitialisation » :
le complot mondialiste

Florian Rouanet en est convaincu : les objectifs de cette tyrannie dépassent largement le périmètre des mesures du gouvernement. « Nous ne sommes qu’au prologue d’un vaste programme de conspiration. » Dans son viseur, l’essai Covid-19 : la grande réinitialisation (The Great Reset), de Thierry Malleret et Klaus Schwab, publié en juillet 2020 chez Forum Publishing. Florian Rouanet accuse Klaus Schwab, fondateur du Forum de Davos, d’être le grand manitou d’un complot visant à sauver un capitalisme en pleine déconfiture.

Dans cet essai, ce n’est pourtant pas le plan d’un complot qui est décrit. Klaus Schwab se contente de livrer son analyse des conséquences de la pandémie du Covid-19. Il constate que, en dépit de son caractère destructeur, la crise sanitaire pourrait permettre de « réinitialiser le système » pour faire face aux défis climatiques et sociaux. Il voit dans les nouvelles technologies un moyen d’y parvenir, tout en soulignant la nécessité d’un meilleur équilibre dans les relations entre l’homme et la machine.

David, 50 ans, refuse de porter le masque. Photo © Sabrina Dolidze

Florian Rouanet s’insurge en dénonçant la mise en place d’un régime « soviétique » dont l’objectif serait d’abolir les libertés individuelles. « On imagine déjà un gars qui joue à SimCity avec les identités humaines. »

« Nous ne sommes qu'au prologue d'un vaste programme de conspiration »

Place Pierre-Laroque, la théorie complotiste de la « grande réinitialisation » est largement relayée dans les rangs des sympathisants. « Dans ce livre, Schwab dévoile clairement un plan mondialiste », s’anime Shérazade, 29 ans, venue de Puteaux. Elle s’en prend aussi à d’autres figures de l’élite mondiale comme le fondateur de Microsoft, Bill Gates, et le financier George Soros. « Je pense que le vaccin possède des nanoparticules et va permettre de faire le lien entre l’homme et la machine. C’est ce qu’on appelle le transhumanisme. » Marie-Hélène, 71 ans, a écrit sur son masque qu’elle porte au menton : « Le vaccin a tué. » Un rictus rageur déforme son visage parcheminé tandis qu’elle martèle : « On vit un terrorisme sanitaire. Je suis sûre que tout ça c’est pour faire crever les vieux parce qu’on coûte trop cher ! »

Comme Florian Rouanet, Shérazade et Marie-Hélène privilégient les médias alternatifs pour s’informer. Certains sont nés à la suite du premier confinement comme ReinfoCovid ou BasLesMasques. D’autres, bien ancrés à l’extrême droite, à l’image de Riposte laïque ou TV Libertés, font le plein de vues grâce à la crise sanitaire. La chaîne YouTube de Florian Philippot a d’ailleurs suivi la même trajectoire, passant de 16 000 abonnés début 2020 à 143 000 aujourd’hui.

Une sympathisante des Patriotes, place Pierre Laroque Paris 7e), le 30 janvier. Photo © Sabrina Dolidze 

Mais si Florian Rouanet et Shérazade partagent certaines sources d’information, leurs convictions politiques sont diamétralement opposées. Shérazade ne savait même pas que Florian Philippot était l’ancien bras droit de Marine Le Pen. « Je m’en fous et pourtant je suis une fille d’immigrés algéro-marocains vous savez », assure-t-elle. « Dans ma ville, je constate que je suis une des rares personnes à sortir sans masque et ça me pèse. Je voulais rencontrer des gens qui pensent comme moi. »

Pancartes détrempées

Florian Rouanet est revenu place Pierre-Laroque la semaine suivante avec quelques amis. Cette fois, il s’étonne de voir que des dizaines de manifestants ont fait le déplacement malgré la pluie battante. Les pancartes « Stop à la coronafolie » et « Liberté » sont détrempées. Des « Marseillaises » rythment les prises de paroles. Debout sur un banc, Pierre, couvert d’un long k-way orange, tambourine sur une casserole. Un geste de soutien aux soignants durant le premier confinement que les Patriotes cherchent à détourner, sans trop de succès pour l’heure, pour s’opposer à la politique sanitaire du gouvernement. Plus loin, David, un commerçant venu de Vincennes, déambule tout sourire, un bonnet rouge-orange en forme de virus sur la tête. Florian Rouanet fait la moue : « Je n’apprécie pas trop cette ambiance kermesse, murmure-t-il. Mais c’est vrai que c’est l’occasion de discuter. On sent que la période est propice au développement d’une opposition plus dure. »

« On sent que la période est propice à une opposition plus dure »

Au sein du parti des Patriotes, le qualificatif d’extrême droite est clairement rejeté. « C’est une étiquette qu’on nous colle comme celle de complotisme », résume Sébastien El Debs, référent des Yvelines. Florian Philippot, lui, considère que Les Patriotes sont un parti « ni droite ni gauche qui rassemble tous ceux qui aiment la France ».

Mais bien qu’il se défende de toutes accointances avec l’extrême droite, il n’hésite pas à la flatter en accordant des interviews à des médias de « réinformation » comme TV Libertés le 3 octobre dernier. De la même façon, il envoie des signaux aux complotistes lorsqu’il vante les mérites du documentaire controversé Hold-up lors d’un live Facebook avec Marion Maréchal le 2 décembre.

Les Patriotes surfent sur la « dictature sanitaire »

Florian Philippot prend un selfie avec Bébert le chanteur des Forbans et son batteur, venus le soutenir au rassemblement des patriotes contre les restrictions sanitaires devant le Ministère de la santé.

Placardisé par Marine Le Pen dont il était le bras droit pendant près de cinq ans, Florian Philippot quitte le Front national en septembre 2017. Il lance dans la foulée son propre parti, Les Patriotes, qui peine à émerger sur la scène nationale. Candidat à Forbach (Moselle), il perd dès le premier tour aux élections municipales de mars 2020, ne réunissant que 9,70% des voix. Les Patriotes ne compte alors que 2000 adhérents. Il en revendique aujourd’hui 14000. Dans son discours, le Frexit et la lutte contre l’immigration massive sont passés au second plan derrière la « résistance » à la politique sanitaire du gouvernement.

Pour autant, Florian Rouanet n’envisage pas d’adhérer au parti, même s’il reconnaît au président des Patriotes « son amour pour la patrie ». Alors qu’il quitte le rassemblement, un jeune homme lui lance au passage « Vive Rivarol ! ».

Photo d’ouverture : Florian Rouanet se préparant dans sa chambre. ©Sabrina Dolidze