Wajdi Mouawad : « Mon travail avec la Jeune troupe, c’est d’éveiller les possibles »

EntretienLa première promotion de la Jeune troupe du théâtre de La Colline achève son parcours fin décembre. Une nouvelle troupe verra le jour en février. Pour Wajdi Mouawad, directeur du théâtre, accompagner ces jeunes comédiens est une responsabilité et un défi : ne pas faire à leur place.

Comment vous est venue l’idée de constituer cette Jeune troupe ?

Wajdi Mouawad : Pendant l’occupation de La Colline par des étudiants en théâtre en mars 2021 [mouvement qui réclamait la réouverture des lieux culturels durant le deuxième confinement, NDLR], nous avons entendu ceux qui nous disaient : « Nous qui n’avons pas été acceptés dans des écoles, on fait quoi ? » L’idée de cette troupe est née de ce sentiment d’abandon. Avec l’équipe du théâtre, on voulait vraiment permettre à tous d’avoir les mêmes chances. D’emblée, on leur a dit : « Vous allez être payés pendant un an. » C’est déjà énorme. Réfléchir, se poser des questions et pouvoir, peut-être, faire le point sans pression entre la fin de leur formation et le début de leur carrière professionnelle. Qu’il y ait un avant et un après.

Comment choisissez-vous les participants ?

Il n’y a pas de CV. Ils doivent répondre en vidéo, en son, en musique… à une question plutôt philosophique. Les personnes retenues viennent faire un stage de trois jours au théâtre. Avec Lucie Digout, coordinatrice artistique, nous travaillons avec eux. Très vite, on voit des personnalités se dégager. Leur disponibilité, leur curiosité, leur écoute, mais aussi la manière avec laquelle ils appréhendent le lieu sont des notions très importantes pour choisir les six jeunes artistes. Constituer un groupe, c’est très subtil. C’est comme essayer de voir l’avenir.

Quel bilan tirez-vous de cette première expérience ?

Ce qui est positif, c’est la manière dont ils se sont acceptés et appuyés les uns sur les autres, la manière dont l’humour est apparu entre eux. Toutes les aventures n’ont pas été flamboyantes, certaines ont été difficiles, mais le plus important, pour moi, c’est que pendant une année, ils ont fréquenté un théâtre de la tête aux pieds, fait partie de l’équipe, rencontré les différents métiers.

Un nouveau groupe arrive en février. Comment envisagez-vous votre collaboration ?

Ils sont tellement bouleversants… Il va falloir prendre soin d’eux et être à la hauteur de l’émotion qu’ils y mettent. J’ai une responsabilité : répondre à leurs aspirations, même s’ils vont être déçus. Mais cette déception m’intéresse justement parce qu’elle est constitutive : jusqu’à quel point met-on sa liberté entre les mains des autres ?

Je ne veux rien leur imposer d’entrée. Il y a le cadre : regarder les spectacles de la saison, rencontrer les artistes qui vont venir, participer, d’une manière ou d’une autre, à toutes les actions que le théâtre mène auprès des jeunes, des étudiants… Je leur demande ce qui leur ferait plaisir dans l’idéal, quel spectacle ils aimeraient accompagner. Mais le plus important, pour moi, c’est m’assoir avec eux régulièrement pendant le premier mois, les écouter, leur parler. De là vont naître des choses, va naître un désir. Je ne sais ce qu’il sera. Ne pas faire à leur place, évidemment. S’ils ont envie de faire un spectacle, que ce soit eux qui l’écrivent, pas moi. Que cela leur appartienne.

Wajdi Mouawad : « Le plus important, pour moi, c’est m’assoir avec eux, les écouter, leur parler. » © Émeline Sauser

Ils vont s’ennuyer, avoir des moments de flottement. Mais c’est tellement précieux d’avoir, dans sa vie professionnelle, la possibilité de ralentir. Il y a des destinations intérieures auxquelles on ne peut arriver, qu’on ne peut atteindre qu’en suivant ce chemin : le chemin du vide, du non-cadre. Il y a une année intérieure et une année extérieure. L’extérieur, c’est le théâtre, ce qu’ils vont faire en termes d’activités, de relations publiques. Mais il y a aussi un voyage intérieur à faire. Moi, mon travail est d’essayer d’éveiller leur désir et surtout les possibles : on essaie ; si ça ne marche pas, ce n’est pas grave. C’est comme ça que j’essaie de les accompagner.

Propos recueillis par Valérie Barrier

Photos : Émeline Sauser