Coincés à côté du périphérique, les immeubles de ce quartier doivent laisser place à un nouveau projet urbain dont un grand parc. Les habitants sont relogés au fur et à mesure, laissant les lieux vides et sans vie tandis que les engins de chantier entrent en scène. Une zone en suspens.
par Hayet Kechit
Devant un immeuble défraîchi de la rue Henri-Duvernois, la camionnette des déménageurs attend Raymonde. La sexagénaire, qui finit de charger ses bagages, s’apprête à faire ses adieux à la cité Python-Duvernois, dans le 20e arrondissement, où elle a passé l’essentiel de sa vie. « De toute façon, on va tous déménager. Tout ça va être détruit. À chaque départ, ils mettent une porte noire anti-squat », explique Rachid, un voisin, qui observe le va-et-vient, devenu récurrent, des déménageurs envoyés par la RIVP (Régie immobilière de la ville de Paris).
Pour les habitants de la zone, il était temps. Dans cette enclave enserrée entre le boulevard périphérique et le boulevard Davout, considérée comme la plus pauvre de la capitale selon le SPSE (Service parisien de santé environnementale) qui relève un taux de pauvreté de 38 % contre 22 % dans le reste de l’arrondissement, la métamorphose promise depuis dix ans par la Ville en est encore à ses prémices.
À l’emplacement des immeubles détruits, sur trois hectares, devrait s’étendre un parc dont la mairie vient de voter le budget d’un montant de 600 000 euros. Désenclaver, favoriser la mixité sociale, développer espaces verts et équipements sportifs : les ambitions de ces travaux, prévus jusqu’en 2028, sont à la hauteur du marasme d’un quartier laissé à la marge depuis plusieurs décennies.
Zone à l’abandon
Derrière les tôles blanches alignées rue Henri-Duvernois s’activent grues et pelleteuses. Il y a peu se dressaient encore là deux immeubles, les premiers à avoir été détruits. C’était en septembre dernier. Face au chantier, des stades à perte de vue, où des adolescents jouent au football. Pour le reste, les aires de jeux sont vides, les rideaux des commerces baissés, les rues désertes. Une zone à l’abandon, où trois sapins de Noël posés au bas d’une tour semblent une trace de vie bien dérisoire.
« Tout est à refaire. S’ils veulent attirer du monde, ils ont intérêt à s’y mettre. Ça s’est dégradé au fil des années. Avec les travaux, les rats sont envahissants », témoigne Anémone, une brigadière qui travaille dans le centre administratif près du chantier. En attendant, les familles partent les unes après les autres, relogées à Paris par la RIVP, l’organisme qui gère les logements sociaux du secteur. Les autres attendent leur tour, suspendus dans un entre-deux.
L’avenir reste incertain
« En vrai, il n’y a pas grand-chose ici. Le périph’, les rats, le bruit, la pollution : on se débrouille comme on peut. Il n’y a pas de vie de quartier. Pas de lieux de rencontres, même pour boire un verre », confirme Ten, un coursier de 26 ans, adossé au mur du bureau de tabac, au rez-de-chaussée d’un immeuble voué lui aussi à être détruit.
Pour Marina, la buraliste, l’avenir reste incertain. Elle doit plier bagages avant le 31 décembre lui a fait savoir la RIVP. Elle reconnaît qu’ici « ce n’est pas le Paris romantique du cinéma ! C’est plutôt le royaume des rats ! On ne peut plus ouvrir la fenêtre de chez soi, à cause de la pollution et du bruit. » Reste une certitude pour celle qui a choisi de nommer son commerce La Campagne à Paris, le point de chute « sera le plus loin possible du périph’ ».