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Espagne / Droits des étrangers /

Une journée avec le SOC (sindicato obreros del campo) vers Palos de la frontera
21 mai 2009 par Alice

Palos de la Frontera est un important village andalou, situé à une dizaine de kilomètres de Huelva, la dernière grande ville espagnole avant la frontière portugaise, distante d’une cinquantaine de kilomètres à peine. D’allure plutôt prospère, Palos s’enorgueillit d’un passé glorieux, d’une prestation unique en son genre : c’est d’ici que fut préprarée et lancée l’expédition de Chistophe Colomb. Dans ce village conservateur, gouverné par le Parti Populaire, on ne compte pas que des électeurs de droite : on peut y voir flotter, non sans un frémissement de surprise, la bannière de la Phalange, le parti fasciste fondé dans les années vingt par Primo de Riveira, qui s’illustra dans la violence contre les organisations ouvrières jusqu’à leur écrasement au terme de la guerra civile (1936-1939).

A la sortie de Palos de la frontera, une station service où se situe un "locutorio", petite boutique où l’on peut téléphoner partout dans le monde. Ce type de commerce fait un malheur dans cette zone de la région de Huelva où quelques 60 000 personnes viennent travailler pour 3 mois faire la récolte des fraises d’un peu partout d’Espagne d’Afrique et même d’Asie...Ce fameux parking voit également de nombreux bus défiler en provenance et à destination de nombreux pays dont sont originaires les travailleurs saisonniers : Roumanie, Pologne, Maroc, Ukraine...quelques immigrés plus installés utilisent clandestinement leurs voitures comme taxis, profitant d’une clientèle de travailleurs migrant captive, étant privée de tous moyens publics de transport à plusieurs kilomètres du village et du moindre commerce.

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route le long des serres vers Palos de la Frontera (Pony, SOC)

Des contrats taillés sur mesure par le patronat...

La tournée de syndicalistes du SOC commencent par cet endroit aujourd’hui . La femme qui travaille au locutorio les a appelé pour leur dire de venir. Aujourd’hui, quatre marocaines ne parlant que très peu l’espagnol, sont à la rue depuis le matin. La raison invoquée par le patron est qu’elles ne ramassaient pas assez de fraises en volume, en nombre de cagettes. Une s’est faite jeter au bout de 14 jours les 3 autres entre 2 et 4 jours. La période d’essai pour une personne employée sous un contrat d’origine est de 15 jours. Recrutées dans les zones rurales et pauvres du Maroc sélectionnées spécialement par le ministère de l’intérieur, elles ont quitté leur famille et enfants en bas âge ; ce dernier détail est un des des critères indispensable à leur embauche pour s’assurer de leur retour. Ce recrutement assuré par l’ANAPEC (Agence nationale de promotion et d’emploi et des compétences) et le patronat espagnol se soucie bien plus de leur état civil que de leur compétence : la hiérarchie morale est la suivante femme mariée, veuve puis divorcée. Il est plus "convenable" d’être une femme mariée ou veuve que divorcée. Il leur est demandé leur livret de famille, leur certificat de mariage ou de veuvage et l’autorisation de leur mari. Après avoir payé le visa, la visite médicale, les trajets pour se rendre aux administrations, les femmes sont endettées de plusieurs centaines d’euros, véritable racket auquel elles acceptent de se soumettre parce que victimes de la représentation biaisée qui leur est faite de leur séjour en Espagne, ne pouvant en connaître les risques et conditions réelles, soigneusement occultés par l’ANAPEC : les contrats ne sont même pas dans la langue d’origine, ce qui laisse deviner le niveau d’information transmis aux femmes avant leur arrivée. On les prévient bien plus de leurs obligations que de leurs droits. Une vidéo leur est montrée où on leur explique quelques petites choses comme l’euro, le coût de la vie, et surtout les dangers d’une "fugue" et d’un non retour. Pourtant, l’espoir de toucher un salaire inaccessible au Maroc, pays dans lequel la récolte de fraises atteint à peine la rémunération de 5 euros par jours (contre 35 en Espagne), est régulièrement réduit à néant une fois sur place, alors que l’argent nécéssaire au départ et souvent emprunté est irrémédiablement perdu. C’est précisément ce dont est victime le groupe de femmes que nous rencontrons au locutorio. Au Maroc, les prisons pour dette existent et elles risquent bien de s’y retrouver si elles prennent le bus le jour même pour y rentrer comme le patron l’a décidé et arrangé. Comble de cet asservissement, un papier leur a été remis par leur patron, attestant qu’il les autorise à travailler dans une autre entreprise. Les contrats d’origine lient les travailleuses à leurs patrons et ne peuvent changer d’entreprises quelle qu’en soit la raison (si elles décidaient pendant la période d’essai de partir d’elles même) sans son autorisation. Les syndicalistes du SOC présents ce jour-là ne peuvent que leur répondre, "c’est leur droit"...car dans le contrat d’origine il a bien été prévu que cette injustice puisse exister en toute légalité. Tandis que ces femmes se retrouvent dans une situation aussi intolérable qu’urgente, Il n’y a plus pour les syndicalistes qu’à aller voir le patron pour lui expliquer la situation, comme s’il ne savait pas, et lui demander de bien vouloir les reprendre. On pourrait également lui glisser que le rendement à la tâche n’est pas autorisé dans ce type de contrat, mais pas vu pas pris et il n’a aucune explication à donner pour se séparer d’une employée pendant la période d’essai. Les syndicalistes, journaliers de longue date nous explique que la tradition en Andalousie des différentes récoltes de fruit et légumes veut que le rendement soit fixé pour l’ensemble des travailleurs de manière à créer une solidarité et de l’entraide entre eux. Un RDV est fixé, les femmes n’y seront pas. Peut-être sont-elles alors sans papiers, rendues par force à un état encore plus précaire qu’à leur départ, laissant leur rêve d’eldorado espagnol loin derrière.

des étrangers résidents dans les chabolas cachés dans la forêt...

La journée se poursuit pas des visites de "camps" dans la forêt où vivent des étrangers chômeurs avec ou sans papiers qui n’ont nul part où habiter. Isolés et cachés, il faut parcourir plusieurs Km entre les serres et la forêt, pour les rejoindre. A l’aide de cartons et de bâches plastiques que les entreprises jettent dans la nature, les étrangers se fabriquent des cabanes, les "chabolas". Certaines sont également construites pour le groupe : cuisine, toilettes, douches et mosquée. Ce sont Ivoiriens, Maliens, Guinéens, des hommes qui ont déjà une expérience de l’Espagne où tous ont travaillé, un pays dont ils connaissent la langue et les usages qui nous reçoivent. Leur quotidien se compose de marche et de marche pour trouver les moyens de survivre : dès 5H du matin, on marche pour chercher du travail, d’entreprises en entreprises...Certains jours comme le mardi sont consacrés à la nourriture : une église dans un village environnant fait une distribution de denrées alimentaires. Il s’agit d’arriver tôt car il n’y en a pas pour tout le monde. On distribue des tickets dès 8h du matin puis la nourriture à partir de 11H. Malgré les KM parcourus, le long des routes tous ne bénéficieront pas de cette aide. Vide était leur estomac, vide leur estomac le restera après 10 km de marche. La Croix Rouge vient également de manière irrégulière dans les camps pour donner à manger et livrer quelques soins basiques, pour les maux de tête ou de ventre seulement. Elle est justement là aujourd’hui : un homme s’approche et explique qu’il a passé une semaine à l’hôpital pour un problème pulmonaire. On lui a donné des médicaments à la sortie. Malgré le traitement, il souffre toujours des poumons mais aussi désormais du ventre. Pour une convalescence, les conditions de vie dans une chabolas sont aggravantes pour l’état de santé et avaler des médicaments aussi puissants sans rien dans le ventre également. La seule chose que puisse alors lui dire la Croix Rouge est d’aller chez des amis qui puissent l’héberger, au sec au chaud et manger tous les jours...autant dire un rêve inaccessible. Un ticket de bus pour Cordoba lui sera fourni, loin des yeux, plus facile à vivre pour tous.

camp "la madre"(Pony, SOC)

Le moral brisé, chacun dit sa stupéfaction d’avoir à vivre dans de telles conditions, les plus dures et humiliantes qu’ils aient connues, et dont ils ne soupçonnaient pas qu’elles puissent exister au sein de la prospère Union européenne. Car, comme le résume « Mr Keita », dans son village malien il ne laisserait même pas sa chèvre vivre ainsi. La faim, la saleté et l’hygiène minimale, mendier de l’eau aux commerçants du village, les heures de marche quotidiennes, la brutalité des rapports avec le patronat local... autant d’épreuves qu’ils doivent désormais endurer pour s’être aventurer à être venu chercher du travail dans la région. « C’est le manque d’humanité dont nous souffrons ici » concluent-ils, unanimes. Les conditions économiques et politiques qui les ont conduit à la survie dans ces abris de fortune forment l’étau implacable qui broye actuellement les travailleurs immigrés en Espagne. La précarité du travail temporaire dans le secteur de la construction, principal recruteur de main-d’oeuvre immigrée bon marché, a permis de les chasser de leur emploi du « jour au lendemain » une fois les premiers effets de la crise enregistrés dans cette activité, toute aussi spéculative et aux pratiques toutes aussi douteuses en Espagne qu’aux Etas-Unis, d’où on nous rappelle pourtant sans cesse la responsabilité première dans la crise actuelle. Le chômage (certains n’ont pas travaillé depuis un an) et le prix des loyers en ville ont précipité leur départ vers les zones agricoles où cependant le travail est également devenu denrée rare : les patrons préférent la main-d’oeuvre féminine saisonnière plus docile et souvent illétrée qu’ils recrutent chaque année pour trois mois au Maroc, en Bulgarie ,grâce à des contrats dits « d’origine » imités du modèle français (l’OMI), lequel est toujours le cadre légal de l’exploitation féroce des Marocains dans le Sud. Pour la plupart, c’est la première fois qu’ils tentent l’expérience dans la région de Huelva pour la récolte des fraises. L’amertume et le sentiment d’avoir était floué ne dégénère pas en ressentiment dans les paroles de A, Ivoirien, qui entrecoupe son récit en fredonnant des airs de Tikken Jah Fakoly. Même lorsque le sujet douloureux des brimades xénophobes fait surface, le phénomène est ramené à « l’ignorance » des Espagnols concernant les Africains plutôt qu’au racisme. Tous désormais souhaitent repartir, mais Palos est un piège d’où il est difficile de se sortir : lorsque « un euro est un problème » le prix des billets de transport en est un autre, insurmontable. Le moindre billet de bus nécéssite plusieurs journées de travail et seul F parmi la dizaine d’hommes qui nous entourent est parvenu ces deux derniers mois à enchainer deux journées consécutives d’embauche. Et d’ailleurs pour aller où, alors que les travailleurs ici arrivent des quatre coins de l’Espagne pour échapper au chômage ? Un « billet pour l’Espagne » répondent-ils, certains qu’ici ce n’est pas le pays qu’ils ont rejoint à grands risques mais un ailleurs indicible où ils sont confinées dans des conditions indignes. Nous sommes peut-être toujours, finalement, en Afrique du Nord s’exclame A ; mais décidément, cette vie ne paraît pas trouver d’équivalent dans leur expérience passée, et F d’expliquer comment au Maroc et en Algérie, pays qu’ils connaît bien, et où assurément les migrants subsahariens sont maltraités, les conditions de vie, selon lui, étaient pourtant meilleures et l’indifférence à leur sort moindre.

Quant à l’action syndicale ou sociale des organisations espagnoles, elle demeure limitée. Il s’agit tout de même de 60 000 personnes embauchées pour la saison, toutes soumises du même rouleau exploiteur. On imagine facilement ce qu’une réponse collective pourrait produire si toutes ces forces ouvrières s’unissaient. C’est bien ce que les patrons préviennent en organisant parfaitement la division et la concurrence entre tous les travailleurs, chômeurs, mais aussi entre toutes les communautés. Difficile de s’organiser pour arracher de meilleures conditions lorsqu’on lutte déjà pour sa survie pour ne pas être renvoyé illico si la quantité récoltée n’est pas jugée suffisante. Il y aurait donc un important travail syndical de terrain à réaliser ici durant ces 3 mois de récolte des fraises pour tenter de défendre les travailleurs, de dénoncer le système de recrutement et tous les abus subis par les uns et les autres. Pour le moment il n’y a qu’une personne qui s’y consacre pour le SOC ; les autres organisations (UGT, CC.OO, CGT) ne sont pas présentes. Autant dire que c’est une larme dans un océan de misère. L’exploitation, l’impunité patronale et la misère vont continuer de sévir ici sur le dos des travailleurs saisonniers et immigrés, matière première du capital en Espagne et en Europe en général.



écrit avec la participation de Morzamba



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