Charles Riviere,
le pêcheur qui
veut croire en l'avenir

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"Savoir ce qu'il y a dans nos assiettes"

"Savoir ce qu'il y a dans nos assiettes". Telle est l'obsession de Charles Rivière, 43 ans, pêcheur de la côte de Nacre en Normandie qui voue une passion débordante à la mer. Il aime tous ces produits (coquillages, poissons, crustacés) à condition qu'ils soient frais.

Aujourd'hui il ne veut plus se satisfaire des circuits de distribution classique. D'après lui, consommateurs comme pêcheurs sont lésés par des intermédiaires trop gourmands. Depuis plusieurs mois il a décidé de s'attaquer seul à la distribution des produits de sa pêche.

Plus qu'un travail, c'est une mission à laquelle s'attèle Charles pour ramener du poisson frais aux consommateurs parisiens. Plusieurs fois par semaine il livre un réseau de Ruches et de restaurants en Ile-de-France.

L'histoire

L'histoire

"La mer, c’est ma passion, la mer c’est la liberté !"

Le travail sur un chalutier est difficile et dangereux. Mais Charles ne renoncerait pour rien au monde à vivre en mer. La mer, c’est sa passion, la mer c’est sa liberté ! Au large, les jours ne se ressemblent pas. Il s’accroche à l’un des métiers les plus dangereux qui existent. Roulis, manque de visibilité, ponts glissants et encombrés, écueils sous-marins, vitesse et poids des chaluts, ces immenses filets que l’on roule et déroule, sont autant de menaces.

Charles habite à Luc-sur-Mer en Normandie dans le département du Calvados. Plusieurs jours par semaine il part de sa maison du bord de mer et descend à Paris, sa ville natale. Il va livrer lui-même le poisson à des restaurants et des réseaux de consommateurs, les Ruches, dans la journée.




Le pêcheur a décidé de sortir des circuits économiques traditionnels, qui consistent à passer par la grande distribution, Rungis ou les supermarchés, et d’exploiter le circuit court. Pour lui, livrer des produits très frais, est un engagement. Dès qu’il a le poisson dans ses mains, le chrono est activé, c’est une course contre la montre. Son objectif : changer les habitudes de consommation pour rentrer dans un système économique plus respectueux de toute la chaîne de production et des produits.

Selon lui cela permettrait aussi d’avoir des produits de meilleure qualité. Pour l’instant, cette activité ne lui permet pas de faire un grand profit, il arrive tout juste à couvrir ses frais pour aller en région parisienne et rentrer chez lui le soir. Epuisant.

Charles

 

EN CHIFFRE

La pêche

La pêche

"On est tous pris à la gorge par la grande distribution"

Pascal Simon, armateur du bateau de pêche le Yaka basé à Ouistreham dans le Calvados
"Je suis issu d'une famille de pêcheurs installée sur la côte de Nacre depuis plus de 40 ans. Forcément si on peut couper les intermédiaires on n'hésite pas. Seulement cela impose des coûts très importants au niveau logistique.
On vend une grosse partie de notre pêche sur l'étale de Ouistreham directement débarquée du bateau. Le reste part en criée où les prix fluctuent sans arrêt, comme à la bourse. Un jour, le kilo de rouget peut être à 5 euros et le lendemain à 16 centimes... C'est un système trop aléatoire.
On a donc décidé de s'attaquer aux marchés de province. On doit prochainement s'installer à Troyes et à Auxerre".

Laila LeBelhomme, propriétaire du Chalutier Le New Look
"Je suis la femme du patron de pêche du New Look, un chalutier basé à Courseulles-sur-mer.
Tout ce que l'on peut vendre en direct aux consommateurs, on le vend, soit directement à l'étale sur le port soit dans certains Comités d'entreprise du Calvados.
Ça c'est sur le papier, parce qu'en vérité on est bien obligé de vendre une partie de notre pêche en criée, et si on ne fait pas du gros volume, c'est très rarement intéressant. Pour éviter de jeter du poisson, on accepte même parfois de vendre à perte".

 

L'équipage, les postes à bord d'un navire

• Le patron pêcheur ou capitaine de pêche est un marin très qualifié et un véritable chef d'entreprise. Il est responsable de l'équipage, du navire et du produit de la pêche. Il travaille surtout à la passerelle où il manoeuvre et détermine la position du navire.

• Le mécanicien est chargé de la sécurité et du bon fonctionnement de la machine propulsive et des auxiliaires d’un navire pendant la pêche.

• Le matelot : la principale activité d’un matelot est de capturer les poissons en mettant en œuvre différents engins de pêche dont il doit bien connaître le maniement. Sur le pont, il doit trier le poisson, le mettre en caisse ou le ranger dans la cale à glace. En pêche industrielle, il vide, nettoie et congèle le poisson directement sur le navire. Le matelot doit savoir maintenir le matériel de pêche en état : réparer un casier éventré, ramender un filet.

• Le mousse : depuis qu’une formation au métier de pêcheur est dispensée dans des écoles spécialisées, les patrons ne recrutent plus de mousse. Jusque dans les années 1980, le mousse était employé sur les bateaux de pêche dès l’âge de 13 ans. Il était avant tout chargé des tâches ingrates : balayage du navire, lessivage du pont, corvée de patates…

La pêche

"En route !"

Régulièrement en route entre sa maison en Normandie et Paris, Charles part de chez lui très tôt le matin, entre 4h et 8h, en fonction des marées, pour aller récupérer le poisson directement au port et remplir son camion.

Il n’est pas toujours sûr de ce qu’il va pouvoir vendre. Tout dépend des conditions météorologiques et des commandes de la clientèle des Ruches et des restaurateurs. Lors de la tempête de février, personne n’a pu sortir en mer, Charles est resté à son domicile avec son fils de 5 ans, Jules. Charles n’est pas salarié et, quand il ne pêche pas ou ne livre pas le poisson, il ne gagne pas d’argent. Il est donc obligé d’anticiper et de compenser ces journées perdues. Une fois le camion rempli, le pêcheur prend la route en direction de Paris. 2h30 en moyenne pour arriver à la capitale (à peu près 240km).

 

Ruches et l’Amap, la vente en circuits courts

Qualité, proximité et pied de nez à l’industrie agro-alimentaire : d’un système de distribution en circuit court à l’autre, les mots d’ordre se font écho. Le réseau La Ruche qui dit oui! et les Amap (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) permettent aux consommateurs de recevoir chaque semaine des produits issus d’une agriculture paysanne locale. La vente directe entre agriculteurs et consommateurs est un canal de distribution en plein essor. Il représente désormais 2% de la distribution alimentaire en France. Certes une goutte d'eau par rapport aux grandes surfaces.

•La Ruche qui dit oui! est une entreprise de l’économie sociale et solidaire. Elle possède donc une dimension commerciale. Chaque Ruche est animée par un responsable rémunéré. Une Amap est une association dirigée par un comité bénévole qui relie producteurs locaux et consommateurs.

•Avec la Ruche qui dit oui!, les consommateurs restent libres de commander ou non à chaque vente. L’Amap demande un engagement des membres par contrat avec les producteurs pour l’année. Ils s’engagent à préacheter une part de la production en début de saison. C’est au consommateur de s’adapter à ce qui a été produit par l’agriculteur et non le contraire.

•Chaque Ruche doit avoir un minimum de 4 producteurs pour ouvrir. Pour les Ruches, c’est la demande qui conditionne les apports de marchandises auprès des consommateurs. En Amap, il n’y a qu’un seul maraîcher en général : les seuls produits proposés sont des fruits et légumes.

•Dans une Ruche, les producteurs fixent librement leurs prix de vente. Ils devront reverser 8,35% de leur chiffre d’affaires hors taxes au responsable local de la Ruche pour l’organisation des ventes et 8,35% à la Ruche mère.

Un panier en Amap pour 4 personnes coûte entre 15 et 25 euros.

La livraison

La livraison

La livraison

"Il faut croire en l'avenir"

Charles propose des produits de qualité, frais, à des prix attractifs et travaille en direct avec sa clientèle, restaurateurs et clients des ruches. Ses idées sont innovantes, et il a convaincu un chef cuisinier parisien, Julien Chevallier, de le suivre dans son projet et de se fournir exclusivement chez lui.

Avec le chef du restaurant “Au Xème”, à Paris, ils sont pleins d’idées pour le futur comme créer une nouvelle Ruche à côté du restaurant et y vendre les produits que Julien utilise pour cuisiner. Pain, légumes, de l’huile d’olive, charcuterie et poisson, évidemment, provenant des circuits courts, pour travailler dans la transparence.

Ils sont tous deux critiques vis à vis de ces réseaux de consommateurs trop éloignés du quotidien des producteurs alimentaires. “Je ne crache pas sur les modèles des ruches - explique Charles - mais la réalité est différente de l’image qu’ils cherchent à se donner pour une bonne partie d’entre elles, elles se nourrissent sur de fausses idées”. Ces derniers temps, Charles a eu des problèmes financiers avec plusieurs d’entre elles qui se font payer en avance par les consommateurs mais payent avec du retard les producteurs.



Ensemble ils souhaitent créer une application mobile de commande de produits frais via une plate-forme. Le producteur mettrait en ligne ce qu’il a comme produit à proposer, et les restaurateurs, en fonction de cette liste, choisiraient ce qui les intéresse. L’application aurait comme finalité de rendre l’approvisionnement plus facile et d’éviter le gaspillage.

Les projets ne sont pas finis. Le cerveau de Charles est toujours actif : il a en tête d'ouvrir un laboratoire avec de poisson pour livrer des écoles. L’importance de bien manger et la sensibilisation à la qualité doit, selon lui, commencer par les enfants.

Les projets

 

“Je me trouve là parce que j'ai toujours voulu mettre les produits en valeur”

Julien Chevallier, 25 ans, chef au restaurant Au Xème à Paris, il a commencé sa carrière de chef il y a 5 ans. Il a toujours travaillé avec des bons produits. Pour le poisson il passe exclusivement par Charles Rivière et il travaille que du poisson frais.

“C'est une question de qualité et puis j'aime connaître les gens avec lesquelles je travaille en respectant le produit et la pêche”.

Le consommateur il n'a pas conscience qu'il mange du poisson d'élevage plein d'antibiotiques. “Les gens doivent comprendre que c'est mieux d'acheter un produit deux euros plus cher, mais de qualité et surtout il doit choisir la nourriture de saison”.

“Mon but c'est de proposer un plat bon et pas trop cher, bien sûr, tu vas manger moins, mais tu vas manger bien”.

Les projets

Julien Chevallier, chef du restaurant "Au Xeme" fait une démonstration de découpe de poisson devant le restaurant "L'Age d'or", dans le 13ème arrondissement de Paris. Son objectif est de faire en sorte que les consommateurs puissent bien cuisiner leurs produits.
 

Reconnaître un poisson frais

•L'odeur : en aucun cas le poisson ne doit avoir une odeur nauséabonde et encore moins une odeur d'ammoniac (sauf la raie dont c'est l'odeur naturelle). Frais, il laisse émaner une légère odeur de mer et d'algues

•L'aspect global : sans taches et sans lésions, le poisson doit être brillant et légèrement humide, recouvert d'un fin mucus transparent. Si sa peau est jaunâtre et si le mucus est épais ou sanguinolent, le poisson n'est pas frais.

•L'œœil doit être clair, vif et brillant. Rond et légèrement proéminent, il occupe toute l'orbite. Fuyez des pupilles noires et opaques.

•Soulevez les ouïes. En dessous, les branchies doivent être rouge clair ou roses, humides et brillantes, mais pas visqueuses ni tachetées. C'est un très bon critère de fraîcheur, facile à vérifier.

•Les écailles sont, soit très adhérentes, soit complètement inexistantes dans le cas de poissons qui nagent en bancs (harengs, maquereaux).

•La chair doit être ferme et élastique au toucher. Après une légère pression du doigt, elle reprend sa forme immédiatement. Si votre empreinte reste marquée, le poisson n'est pas frais. Concernant les filets, elle doit être de couleur blanc nacré, ferme également, bien qu'il soit plus difficile d'en juger.

Les projets

"On n'est pas tous voué à manger du caviar"

Pour Charles le problème ne vient pas des méthodes de distribution, en grande distribution ou en réseau, mais surtout du consommateur. Il voudrait trouver un moyen pour l’éduquer, afin de mettre en place un réflexe de consommation intelligente dans la société.

“Je sais que je peux paraître un idéaliste, mais ma vision de la société est fondée sur le principe de la qualité des produits - précise Charles - Je travaille pour que le consommateur ne mange qu’une fois par semaine du saumon, mais du saumon de qualité, du saumon sauvage. Pas du saumon d’élevage dont les pays de provenance déconseillent la consommation même aux femmes enceintes”.

“Nous ne sommes pas obligés de consommer des produits de luxe tout le temps - continue Charles - il faut manger selon nos moyens, il vaut mieux des produits de qualité, mais en plus petite quantité”.

 

« Les consommateurs ont besoin de confiance »

Pour Albert Ritzenthaler, coordonnateur du groupe CFDT au Conseil Economique Social et Environnemental, il faut multiplier les circuits entre consommateurs et producteurs.

Les consommateurs se méfient-ils de plus en plus de la grande distribution ?
"La grande distribution va perdre du terrain, mais elle est aussi en train de chercher des circuits plus courts, par exemple l'installation de petites surfaces. Il y a de plus en plus d'acteurs de la grande distribution qui se sont engagés dans les multicanal (hyper, super, superette et internet). Les grandes surfaces essaient de s’associer avec des petits artisans pour donner une image de proximité et se poser comme intermédiaire entre les producteurs et les consommateurs".

Le circuit court est-t-il un bon modèle économique?
"Le circuit court est un modèle qui peut représenter une alternative. On assiste à un phénomène de nomadisation du consommateur qui peut trouver ses fournisseurs, non seulement dans une grande surface, mais aussi dans une ferme, dans un marché paysan, dans une Ruche. Tout cela parce que les gens ont besoin de confiance. Les circuits courts sont des modèles qui existent et qui prendront de l’ampleur car les consommateurs sont attirés de plus en plus par la qualité, ils sont vigilants par rapport aux produits qu’ils mangent en recherchant, donc, la relation directe avec les producteurs".

Supprimer les intermédiaires peut-il aider les producteurs à mieux s'en sortir?
"Oui, mais il faut toujours considérer que le temps où le producteur vend représente du temps où il ne produit pas. Les producteurs se rendent compte qu’ils ont besoin des intermédiaires car ils n’ont pas les compétences adéquates pour s’occuper directement de la distribution. Pour moi, la seule solution serait de multiplier les acteurs des circuits plutôt que de voir des acteurs du circuit court grossir".

Que pensez-vous des Ruches et des Amaps?
"Ces modèles sont des réalités intéressantes qui sont déjà implantées dans la société et qui utilisent internet comme plate-forme. De toute façon, le numérique est en train d’impacter les différents aspects de notre existence, y compris l’alimentation. Les circuits courts, ce sont quand même des modèles qui existent et qui prendront de l’ampleur car les consommateurs sont attirés de plus en plus par la qualité, ils sont vigilants par rapport aux produits qu’ils mangent en recherchant, donc, la relation directe avec les producteurs".

Les consommateurs

Les consommateurs

Fin

Réalisation :
Matthieu Chatonnier, Riccardo Milani, Vincent Rispe

Crédits