Métiers d’art, l'art et la matière

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Passion, savoir-faire, exigence

Orfèvres, ébénistes, vernisseurs, luthiers… en France, les métiers d’art comptent plus de 200 professions. Produire avec ses mains des objets uniques, maîtriser des savoir-faire séculaires, autant de compétences qui demandent une exigence toujours renouvelée. Pour réussir, ces artisans passionnés doivent aussi maîtriser l’ensemble des rouages d’une entreprise. Éléonore de Place, restauratrice de meubles récemment installée à Saint-Ouen, et Romuald Provost, facteur de guitares à Paris depuis une quinzaine d’années, nous ouvrent les portes de leur atelier. Portraits croisés.

Introduction

Une vocation

1. Une vocation

« Ne jamais s’ennuyer »

Saint-Ouen, une façade bleue rue des Rosiers. À travers la vitrine, la silhouette d’une jeune femme élancée, brune, cheveux courts. Éléonore de Place a fondé son atelier de restauration de meubles, Chairwood, en 2014. « Il ne faut pas avoir peur, ne pas être matérialiste, dit Éléonore. Depuis toute petite, j’aime travailler de mes mains. Aujourd’hui, ça y est, j’ai mon atelier », continue-t-elle.

L’atelier de restauration de fauteuils Chairwood d’Éléonore de Place, à Saint-Ouen, en janvier 2016.

À l’intérieur de la boutique d’Éléonore, deux fauteuils en fin de vie sont en cours de restauration. « Le travail du bois, du crin, du tissu, c’est ce que j’aime dans mon métier. Travailler plusieurs matières, plusieurs techniques, permet de ne jamais s’ennuyer », dit-t-elle. Après avoir travaillé aux ressources humaines dans une grande entreprise, Éléonore décide d'effectuer une reconversion professionnelle. En 2014, elle suit une formation en tapisserie pendant six mois, et obtient son CAP de tapissier d’ameublement.

 

Éléonore de Place,
restauratrice de meubles

Éléonore de Place, 27 ans, ouvre son entreprise de restauration de fauteuils et chaises de toutes époques, Chairwood, en 2014. Elle propose aussi à ses clients une initiation aux techniques de restauration. Son atelier est à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) où, depuis quelques années, de nombreux artisans s’installent.

Chairwood
41, rue des Rosiers
93400 Saint-Ouen

www.atelierchairwood.com

Artisan d'art, une vocation (1)

« Le bois est la matière que j'aime travailler »

« Je joue de la guitare depuis mes 13 ans. Je réparais souvent les guitares de mes copains. La lutherie m’est venue comme ça », se souvient Romuald Provost, les mains calleuses, le visage robuste et franc. Romuald est luthier en guitares dans le 14e arrondissement de Paris. Dans son petit atelier de la rue Texel, des instruments de musique ornent les murs, des copeaux jonchent le sol, et une pellicule de fine poussière de bois recouvre intégralement la pièce.

L'atelier de lutherie de Romuald Provost, dans le 14e arrondissement de Paris, en janvier 2016.

« J’étais à la fac quand j’ai rencontré un ébéniste. Son travail m’a plu. Quand il m’a proposé de faire un stage chez lui, j’ai décidé d’arrêter les cours afin de passer un CAP d’ébénisterie », dit Romuald, rabot en mains, qui s’apprête à façonner une nouvelle pièce de bois sur son établi. « De fil en aiguille je suis devenu luthier. Le bois est la matière que j’aime travailler, et je suis passionné de musique », poursuit-il.

 

Romuald Provost,
facteur de guitares

Romuald Provost, 39 ans, fabrique des guitares classiques de manière artisanale. Il restaure également des guitares de tout type (flamenco, folk, jazz). Né au Mans, il commence sa carrière de luthier à l’âge de 24 ans, dans le 14e arrondissement de Paris, où il exerce depuis une quinzaine d’années.

Atelier Romuald Provost
12, rue de Texel
75014 Paris

www.provost-guitare.com

Artisan d'art, une vocation (2)

Dans leur atelier

Dans leur atelier

« Être multitâche »

Dans son atelier de restauration de meubles de Seine-Saint-Denis, Éléonore, équipée de ses nombreux outils, agrafe, pique, coupe les tissus et mousses des nombreux fauteuils. « J'ai choisi de m'installer à côté des puces de Saint-Ouen. Cette ville est une véritable pépinière d’artisans. Beaucoup de particuliers découvrent la boutique en allant visiter leur encadreur, leur vernisseur ou leur antiquaire. D’ailleurs, 90 % de mes clients sont des antiquaires. Je travaille pour les particuliers et les professionnels », raconte la responsable de Chairwood, 27 ans.

Éléonore de Place dans son atelier de restauration, à Saint-Ouen.

« Aucune journée n’est pareille, car aucun fauteuil n’est pareil, s’enthousiasme Éléonore. Il faut être multitâche, dynamique, et parée physiquement ! Les premières semaines, j’étais courbaturée des pieds à la tête », poursuit-elle. Éléonore redonne vie aux fauteuils, mais elle assume aussi chaque jour les tâches administratives : comptabilité, gestion des commandes et des fournisseurs, communication. Elle effectue également la livraison des meubles terminés.

Dans leur atelier (1)

Galerie photos

« Une quête infinie »

« Être installé à Paris, c’est sûr que ça aide », assure Romuald. Natif du Mans, il décide de quitter la Sarthe pour venir s’installer dans le 14e arrondissement de la capitale au début des années 2000. « On a plus de chances de réussir comme artisan à Paris plutôt qu’à la campagne. Il y a plus de passage, donc plus de clients », explique le facteur de guitares.

Romuald Provost dans son atelier de fabrication de guitares, à Paris.

La facture d’instruments est en perpétuelle évolution. Romuald, adossé à son établi de bois, le confirme : « Le métier de luthier exige un savoir-faire séculaire qui a peu bougé durant des siècles. Malgré tout, les techniques pour obtenir l’acoustique parfaite évoluent. C’est une quête infinie. »

Dans leur atelier (suite 2)

Des chefs d’entreprise

Des chefs d’entreprise

« Un vrai travail de gestion »

Pour Éléonore, monter son atelier était un vrai pari : « Après ma formation, j’ai dû travailler immédiatement. Je ne pouvais pas me permettre de ne pas gagner d’argent. » En plus de fournir un travail technique d’artisan, il lui a fallu endosser le rôle de chef d’entreprise : « Nous sommes des artisans, pas des artistes. Un vrai travail de gestion est nécessaire. On ne peut pas se permettre de négliger le mail d’un client ou le règlement d’une facture. »

Éléonore de Place : « Nous sommes des artisans, pas des artistes. »

Dans son arrière-boutique où les fauteuils s’entremêlent, Éléonore raconte : « Au début, certains fournisseurs faisaient une drôle de tête quand je leur demandais de payer mes commandes en différé. Aujourd’hui, ils me font confiance. Quel chemin parcouru ! Cet atelier est comme mon deuxième enfant. Et je me bats chaque jour pour qu’il grandisse. »

 

Des chefs d’entreprise (1)

« Marche ou crève »

L’atelier de lutherie de Romuald est petit mais fonctionnel. L’artisan parisien travaille seul, avec pour unique compagnie les guitares qui l'entourent. « Si je voulais être luthier, je n’avais pas le choix, je devais m’installer à mon compte. Cela implique d’être autonome, de savoir gérer les priorités. L’atelier Dupont [à Cognac] est la seule fabrique de guitares française qui réunit une dizaine d’ouvriers. Un luthier travaille seul, il ne faut pas craindre la solitude », confie Romuald.

La réparation d'instruments représente une part importante de l'activité de Romuald Provost.

« Devenir artisan, c’est un peu “marche ou crève”, lance Romuald. Avant de commencer, je me voyais passer tout mon temps derrière l’établi à fabriquer des guitares. La réalité est tout autre. Il s’agit d’une entreprise comme les autres. Je passe un tiers de mon temps à remplir des bons de commande, des factures, remplir des formulaires… Et personne n’est là pour vous aider. »

 

Chefs d’entreprise (2)

Un métier, une passion

Un métier, une passion







« On ne devient pas artisan par hasard »

Romuald Provost : « Même si l’avenir reste incertain, l’important pour moi est de faire ce que j’aime. »

« Je ne connais pas la sensation de boule au ventre avant de partir au travail, c’est vrai. On ne devient pas artisan par hasard. De nos jours, c’est rare d’aimer son métier », affirme Romuald. Sur les murs de l’atelier, des dessins d’enfants et des outils se côtoient. « Ma grande fille de 5 ans porte un réel intérêt pour l’atelier et les instruments. Mais il est tellement difficile de s’en sortir que je préférerais qu’elle fasse autre chose. Ce métier est passionnant, mais les temps sont durs pour les luthiers. »

Un métier, une passion (1)

« Un vrai luxe d’exercer le métier qui me passionne »

L’atelier Chairwood s’agrandit, l’ouverture d’une succursale à Londres est prévue prochainement.

Tous les mardis, de 18 à 23 heures, Éléonore donne des cours à son atelier de Saint-Ouen. « Je voulais apporter une image différente du métier de restaurateur de meubles. Évidemment, l’artisan solitaire, reclus au fond de sa boutique, ça existe toujours ! Donner des cours, c’est une façon plus moderne d’aborder l’artisanat. Et puis, les cours du soir ne formeront jamais des professionnels, mais l’idée de partager mon savoir-faire, ça compte vraiment pour moi », dit-elle, en attrapant de la mousse pour commencer une assise de tabouret.

Éléonore commence sa journée à l’atelier à 7 h 30. Habituellement, elle ne le quitte pas avant 20 heures. « Je ne fais pas tellement de distinction entre ma vie personnelle et professionnelle. C’est un vrai luxe d’exercer le métier qui me passionne », se réjouit la jeune femme, qui ne regrette pas d’avoir abandonné son ancienne vie.

Passion et transmission (2)

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Rédacteurs : Pauline Bischoff, Xavier-Éric Lunion

Secrétaires de rédaction : Clément Follain, Agnès Martineau

Photos : Clément Follain

Vidéo : Xavier-Éric Lunion

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