Un samedi ensoleillé sur Londres, je cours dans le labyrinthe du métro, qui a encore supprimé, pour le week end, les lignes que j’espérais emprunter. Je me dépêche, hors d’haleine, pour ne pas rater les militants de No Borders London qui m’ont invitée à participer à la manifestation pour la fermeture du centre de rétention, "detention camp", de Yarl’s Wood, près de Bedford.
En retard je les imagine déjà partis prendre le train, en groupe bruyant et désorganisés, je compte secrètement sur ça pour les ratraper.
A King’s Cross St Pancras, je les cherche, ils me pilotent par téléphone et m’attendent près...d’un bus.
Un bus tout spécialement prévu pour une manif de ce genre...
Je me remets de ma surprise, pour apprécier le doux murmure de Babel.
Si la malédiction crée encore la confusion, ici elle provoque l’émulsion.
Allemands, Italiens, Espagnols, Mexicains, Français, Hollandais, Ougandais, Somaliens, Anglais....Le monde entier est dans ce bus.
Plus d’une heure de trajet, qui s’achève sur une autre surprise : on traverse la ville escortés par la police locale, à moto, qui nous ouvre la route, arrêtant la circulation par moment, pour nous amener à notre point de chute...
organisation soooo british....
Les vieux anars allemands me regardent et se marrent de mes yeux interloqués.
Là, nouvel accueil, à force de fliquettes, explications, mises au point, propos rassurants, tout y est : une cinquantaine de jeunes et moins jeunes militants entourés d’une trentaine d’agents, en baudrier jaune fluo.
Certains semblent se différencier des autres. Surtout, ceux là portent autour du cou des appareils photos et caméras de toutes tailles, du petit numérique à l’énorme téléobjectif.
Je me sens un peu mal à l’aise. Je pense à cette culture british du "profilage".
Mais quand j’observe les manifestants, eux aussi ont presque tous un appareil avec eux, voire même un télélobjectif, et plusieurs caméras.
Je n’ai pas le temps de poser de question, on vient me présenter : les agents de la police locale et les "MET".
The "MET", entendez Metropolitan Police, sont les profileurs, les enquêteurs, pas les agents de proximité. Et on m’explique qu’aujourd’hui les agents locaux sont nombreux car...sensés protéger les MET. Depuis que certains d’entre eux ont été pris à partie lors d’une précédente manif, s’étant pointés à 3 dans un groupe de 50 militants, il semblent qu’ils aient compris que leur travail "habituel" de fichage de la population, ne plaisait pas à cette-dite population.
Méfiance réciproque. Ceci explique cela. Les militants habitués portent donc eux aussi des "outils de profilage" et répondent à chaque prise de photo par une autre prise de photo suivi d’un "We’re watching you too !!!" (On vous surveille aussi !).
Je commence à apercevoir de la vie derrière le flegme britanique, comme le neurone civique qui s’agite..
On commence à avancer vers une destination inconnue pour la plupart des manifestants. Pas d’inquiétude, on est quand même en Angleterre, l’agent de police le plus proche nous indique gentillement le "meeting point"...
Là beaucoup de monde attend déjà. Population diverse, groupes diverses, chacun fignole sa banderole, sa pancarte, son slogan. Tous autour d’un seul cri : la fermeture de Yarl’s wood, la fermeture des centres de rétention.
Une femme, au micro, s’adresse à la population et explique ce qu’elle a vu à dans le centre en tant qu’observatrice, explique la rétention, "locked up", appelle les badauds à s’interroger sur l’emprisonnement, appelle la ville à la réflexion sur le mode de gestion des populations, sur les mauvais traitements observés dans le centre, lui dit qu’elle se doit de refuser ce mode gestion.
Yarl’s Wood, prison pour femmes et familles. 400 places.
Bedford à la particularité d’être une ville symptomatique de l’immigration. Sa population est constituée d’au moins 10 % de descendants d’italiens, appellés par la London Bricks Compagny dans les années 50.
Puis, ont suivis les Sud-Asiatiques, les Polonais, les Grecs, les Chypriotes puis les Ouest-Indiens, ce qui en fait la ville du Royaume Uni, du fait de sa taille (75000 habitants), la plus diverse en terme de d’origine ethnique.
Le cortège quitte le centre, très encadré, on suit les pointillés. Ennui mortel. Et puis, mal organisée, j’ai pas prévu de ravitaillement, j’ai faim.
2 heures de marche sous un agréable soleille de mars.
On atteint enfin le centre, loin très loin, excentré, à l’abri de toute oreille, de tout regard. Je l’imagine seulement, derrière le cordon de poussins fluo, derrière les grilles, derrière les arbres, derrières les premiers bâtiments de manutention.
On se pose. Et on écoute.
Je comprends pourquoi un étrange vélo suivi d’une charette nous suivaient.Il transporte les amplificateurs et le micro.
Mademoiselle A. somalienne de son état, prend le micro et raconte. Elle raconte ses 18 mois "à l’intérieur", son arrivée par avion et son enfermement dans les heures qui ont suivies. La rétention d’abord pour étudier sa demande d’asile, oui c’est le cas en Angleterre. Puis rétention car déboutée du droit d’asile. Mais somalienne, elle est difficile à expulser, depuis quelques temps ce n’est plus possible.
Oh ! pas parce qu’enfin l’Europe accepterait de protéger des gens venant de ce pays à feu et à sang, et donc d’être ce sanctuaire qu’elle prétend être, cette "Europe de l’asile.
Non ! juste parce que les tribunaux islamiques, instaurant la terreur en Somalie, ne délivrent pas de "laisser-passer" nécessaires pour pouvoir expulser quelqu’un.
Sa voix claire, sure, décidée, explique 18 mois d’enfermement, d’incompréhension, de solitude, d’ennui, de temps à ne penser qu’au passé, à la violence, au viol. 18 mois d’humiliation au quotidien, de pression pour accepter le "retour volontaire", les reproches de "mettre à mal le système", "ce que les gens comme elle côutent au pays". L’absence des services d’immigration. L’absence du Home Office. L’absence de l’extérieur. Personne.
Puis les multiples appels au juge pour sa mise en liberté sous caution. Mais un juge de l’interieur, d’un tribunal au sein de la detention, arbitrant les dossiers de cette détention. Comme enfermé dans son bocal. Refus sur refus. Tout est prétexte : pas de famille pour la prendre en charge,( elle est la seule avoir réussi à entrer), pas d’amis (comment pourrait elle s’en faire dans ce pays si on l’oublie dans une prison ?), donc pas de caution. Puis l’espoir venant de l’extérieur, d’associations, de bénévoles, qui la "cultivent". Elle exige alors, comme elle en a le droit, le jugement de sa demande de caution par un autre juge, elle l’obtient, elle est dehors mais loin d’être libre.
A tout moment "ils" peuvent la récupérer quand elle va signer chaque semaine. Mais elle est là aujourd’hui. Et clame qu’elle veut participer au système, qu’elle ne veut pas des bons d’achats jetés aux destitués du droit d’asile, rappelle ce que coûte la rétention au système.
Monsieur W. homme politique Ougandais venu chercher refuge avec sa femme et ses enfants, 4 et 1 ans, prend la suite et raconte l’isolation pendant 5 jours à noël, pour "présomption de préparer quelque chose". Car en rétention rien est écrit, tout est arbitraire, on ne peut se plaindre à personne. En fait il aidait un co-retenu à traduire ses courriers administratifs.
Il donne un autre exemple de technique pour pousser les gens à bout, les dégoutter afin qu’ils veuillent eux même quitter le pays : tour à tour on a cherché à les libérer mais séparément. D’abord lui qui refuse et qui signe un papier exigeant son maintient en rétention, il ne veut pas se séparer de sa famille, puis quelques jours après sa femme avec les enfants. Evidement dilemne : comment exiger de rester quand on voit ses enfants dépérir du fait de l’enfermement ?
"Tout est fait pour rendre fou."
"Si on ne veut pas de moi dans ce pays, d’accord. Laissez moi partir dans ces cas là ! Mais pourquoi m’imposer le pays de destination ? Qui êtes vous pour choisir à notre place ce qui est bon notre ma famille ?"
En pleurs, cet homme adulte remet les choses en place. Ces choses qu’on oublie dans le tourbillon des intérets divers.
Quelqu’un de medical justice prend la parole pour expliquer les conditions de détention et les conscéquences sur les enfants, que certains d’entre eux sont déjà dépressifs et ont parfois passé autant de temps enfermés que libres.
Puis le micro est placé tout contre un téléphone. Et là, "l’intérieur" entre en contact avec l’extérieur. Tour à tour des femmes en bon anglais appellent au secours, traduisent pour celles qui ont tant de choses à dire mais qui sont encore plus coupée de tout, elles questionnent, expliquent.
Aujourd’hui elles ne savent pas pourquoi mais elles n’ont même pas le droit de sortir dans la cour ou d’ouvrir les fenêtres. Elles présupposent que quelque chose doit se passer dehors.
Elles expliquent d’où elles viennent, pourquoi elles ne veulent pas y retourner, comment elles ont fait de la prison en Angleterre parce que pour se protéger elles sont entrée avec de faux papiers, relatent les longs moi de rétention. Avec de mots simples elles transmettent leur choc de se sentir criminelles, elles qui cherchaient protection et amélioration de vie. Elles parlent beaucoup des femmes enceintes enfermées, des expulsions de celles-ci, alors qu’à partir d’un certain temps de grossesse cela n’est plus légal, elles expliquent les mensonges sur les datations. La peur de ces hommes en uniforme qui entrent à n’importe quel moment dans les chambres pour les compter. Les femmes qui hurlent et qu’on traine par terre, quand elles n’ont pas encore été brisées, pas encore été rendues dociles, et résistent à leur expulsion.
Surtout, elles parlent du système, de "leur système" à "eux", elles refusent le fait d’être là pour en abuser, et même d’être venues pour ça. Elles proclamment qu’elles aussi peuvent participer au système parce que " we are african strong women" ! Qu’elles ne veulent pas vivre de charité ou d’aides sociales, plus particulièrement de "voucher" (bons d’achat), qu’elles veulent travailler. Et demandent combien coûtent leurs enfermements et celui de leurs enfants pendant souvent 2 ans ?
La dernière qui parle dit qu’elle n’a jamais vu autant d’acharnement contre les personnes, autant de mépris et de haine et de solitude.
On lui dit que nous sommes 200 à l’écouter parler, que c’est pour ça qu’elles n’auront pas le droit de bouger aujourd’hui.
Elle nous remercie, termine par un "god bless you" et "soyez vigilants, ça fait 20 ans que je vis dans ce pays et je n’avais jamais vu ça".
20 ans.
Au bout de combien de temps on se sent appartenir à groupe, une famille, un lieu ?
Le soleil de Mars ne suffit pas toujours à alléger une atmosphère.
Je suis humaine donc grégaire. Exilée, je cherche ma communauté. J’allège mon atmosphère en "créant du lien". Je trouve dans la foule, par hasard, 2 français ayant caché oeufs, feuilles de vigne, Hoummous, pita, chips de banane douce, dans leur sac. Y’a bien que des frenchies pour avoir pensé à ça. Mais non : deux petits vieux, british, tendent des "sacs de ravitaillement" qu’ils ont pensé à préparer avec tout l’amour de grand-parent, pour les jeunes sans cervelle mais avec un estomac..
Et simplement on partage un repas pour mieux continuer.
Simplement, continuer.
C’était une belle journée pour une manif.