Semaine sociale, G20, traitement de l’info La semaine s’annonçait chargée, 28 Mars journée de protestation sociale, 1er avril manifestation en parallèle du G20. A quoi ressemble Londres quand la rue s’exprime ? Put the people firstC’est enthousiaste que je suis allée à la rencontre du cortège de la manifestation "Put the people first", le samedi 28 mars, vers 11h. J’y ai rejoint Ziggy, fraîchement arrivé d’Erythrée, qui était ravi de participer à sa première manifestation dans un pays démocratique (la dernière à laquelle il avait participé chez lui l’avait amené tout en droit prison pour plusieurs mois, après avoir été battu). Le constat fut le même chez lui comme chez moi, quelles peuvent bien être les répercutions d’une manifestation comme celle-là ? La journée a débuté vers 11h de Embankment station, pour remonter jusque Hyde park, gentiment, en suivant les pointillés des agents de police. Défilé d’étendards de syndicats, y compris européens. On a effectivement pu voir passer des ouvriers de chez Mittal Belgique, ou des syndicalistes italiens ou français (CFDT). Le reste a pu paraître confus pour la presse car toutes les revendications étaient là, affichées par pancartes, étendards, flyers, banderoles. Tous les rouages qui coincent : travail, conditions de travail, place des femmes, des enfants, le climat, les énergies vertes, l’immigration, les frontières, l’exploitation des hommes, des ressources, l’éducation, l’accès à la santé, la Palestine, l’impérialisme...tout... Toujours très bien organisé, comme tout en Grande Bretagne, la marche était ouverte, d’abord par la police(..) puis par les cavaliers de l’apocalypse, qui, eux, inauguraient le thème des manifestations du G20. 4 cavaliers : le rouge illustrant la guerre, le vert pour le chaos climatique, le gris pour la délinquance financière, et le noir pour le logement. Le tout derrière une banderole principale : "le capitalisme ne fonctionne pas", ou "peut renverser le gouvernement ? Oui nous le pouvons !", en référence au "Yes ! We can !" américain. Rien de bien particulier..à part cette obligation, même pendant une manif, de bien suivre le protocole politiquement correcte.. à part peut être une présence de policiers bizarrement excessive juste devant le Ritz et ses limousines alors que très discrète tout le long du parcours...Mais aucun remous parmi les manifestants. Le cortège a obliqué vers Hyde park, où une scène avec écran géant avait été installée. Là on a pu écouter des représentants de syndicats mais également de pays comme le Mexique ou la Zambie, qui venaient expliquer les dégradations des conditions de vie et de travail dans les pays en développement, les conséquences directes de l’effondrement du système occidental sur leur économie et leur vie. Mais la pluie a refroidi les motivations. Nous sommes repartis avec les mêmes réflexions que j’avais entendues une semaine plus tôt, après les manifestations sociales en France : on sort une journée, les syndicats défilent, et après ? Frustrés. Ziggy a tout de même apprécié de pouvoir exprimer son mécontentement sans finir en prison. Il a noté avec délectation les slogans les plus vindicatifs, notamment anticapitalistes, lui qui s’est échappé d’un pays qui se dit socialiste. Mais il s’est également questionné sur le pouvoir de persuasion de ces manifs sur les gouvernements du G20. G20, mêmes couleurs, autre fin.Le 1er Avril, se tenait la réunion du G20, toujours à Londres. En retard, je n’ai pas pu suivre le cortège, je l’ai rejoins à "la cible" : Bank station, fermée pour l’occasion. Dès mon arrivée, j’ai bien senti que l’atmosphère était tout autre. Pourtant, j’y ai vu les mêmes manifestants, moins les bannières des syndicats mais avec plus, beaucoup plus, de police. Les cavaliers de l’apocalypse étaient là. Enfin de loin. Oui, au départ de loin, car étant arrivée en retard je me suis aperçue que quelque chose se tramait car dès 12h30 il était déjà difficile de rejoindre le cortège, la police avait déjà bloqué toutes les rues, interdiction d’entrer ou de sortir de la nasse. J’ai pu me glisser tout de même par une ruelle oubliée, mais très vite condamnée. Comme tous les autres, je n’ai pas compris tout de suite que j’allais rester là....8h.... Dès que j’ai rejoins le groupe, un double cordon de policier a refermé la nasse derrière moi. Un premier cordon pour empêcher les retardataires de rejoindre le centre de la manif, un deuxième pour empêcher le groupe au centre de se déplacer, y compris de rentrer chez soi. Il était 12h37. Le gros de l’après midi a constitué à se promener dans un périmètre de 200 mètres, entre un ampli diffusant de la techno et un autre quelques interventions de militants accompagnées de guitare sèche style reggae. Et de temps en temps aller voir ce qu’il se passe du coté des « barricades » : devant chaque cordon de police un groupe de manifestants fait face et clame soit de laisser entrer ceux à l’extérieur, soit de les laisser sortir, pour ceux qui avaient déjà compris la manœuvre. Au bout de quelques heures, j’ai fini quand même par comprendre en voyant…que des toilettes avaient été préparées dans le périmètre. Des toilettes ! Là j’ai ouvert les yeux et compris que maintenir les manifestants dans une ère prédéterminée était le but de la manœuvre. Le tout sous des dizaines de caméras et appareils photos d’agents placés sur les toits des immeubles, mais également parmi la foule. En effet, une importante masse de journalistes se trouve là, mais également d’autres personnes non identifiées filmant la foule. Culture de la surveillance et du profilage. Donc là j’ai commencé à sentir que ça pouvait dégénérer et du coup à me poser la question : qu’attendaient les autorités d’une telle gestion ? 18h : de plus en plus de manifestants se pressent face aux policiers, « met », très vite devenus « riot police », casqués et armés, tout en noir, contrairement au baudrier jaune habituel. Selon des manifestants anglais, « les noirs » sont réputés être les plus violents. 18h 30 : les barrières de sécurité sont démontées pour pouvoir être utilisées afin de faire reculer la police et percer un trou pour que tout le monde sorte. Tout cela aux cris de « let us out ! ». (laissez nous sortir). S’en suivent les premières charges. Violentes. Au milieu desquelles sont extirpés les manifestants du front, par des agents de police restés en arrière garde. Sans que personne ne bronche, des dizaines de personnes sont extraites du groupe. Vers 19h30, les Met entreprennent de ratisser la place et de manœuvrer la foule, aux cris de « out ! » ou « off » (tout dépend de si les manifestants étaient en hauteur ou non) en un impressionnant chœur, tel que tout le monde fuyait plutôt que d’affronter. Et ce, jusqu’à une rue où des chiens et d’autres Met nous attendent et nous ordonnent de nous mettre en ligne dans le calme, et nous signalent que l’on va pouvoir sortir, un par un. Vers 20h, c’est mon tour. On me laisse sortir, seule, un agent est attitré à mon escorte. Il me demande si je parle anglais et m’explique qu’il va m’accompagner jusqu’au bout de la rue, que si je n’ai pas été impliquée dans quoi que ce soit contre la police je pourrai rentrer chez moi. Tout est dit très vite. Je ne percute pas tout de suite. Puis je me rends compte que pour atteindre le bout de la rue il faudra que je marche au milieu de deux colonnes de Met, casqués, en baudrier jaune, qui me dévisagent. Sur le côté, je vois des petits jeunes, que je croyais être sortis avant moi, être placés entre deux cars gardés par des agents avec des chiens. Quand je dis à mon escorte qu’on voulait juste rentrer, il me rétorque que lui aussi et depuis 3h du matin. Quand je lui suggère que c’est peut être un peu disproportionné, il me répond que je ne sais pas tout. Ah... J’atteins finalement le bout de la rue sans encombre. Je ne suis à aucun moment allée me mesurer aux Met pour exiger de sortir, j’ai passé mon après midi à aller à intervalle régulier, sur chacune des sorties, supplier l’un d’entre eux de me laisser sortir. En vain. Que me serait il arrivé si j’avais vraiment gueulé comme les ados maintenus maintenant à l’écart ? ou que j’avais jeté une bouteille d’eau ou du papier toilette comme beaucoup d’autres ? J’apprends le lendemain que tout cela s’est soldé par la destruction d’une vitrine d’une banque, une centaine d’arrestations, mais surtout par un mort, très discret au départ. A la télévision et dans les journaux, les premiers jours, on martèle l’excellent travail de la police face aux anarchistes italiens agités et organisés, responsables des troubles. On précise les langues entendues dans le cortège : français, allemands et polonais, cela donne l’occasion d’un rappel sur les groupes d’anarchistes européens. On ne montrera que les brefs moments de violence, très peu les heures d’attente de millier de citoyens tout simplement privés de leur liberté de mouvement au sein d’une capitale européenne. Pratiquement pas le slogan principal de la journée : « we just want to go home ! Let us out ! ». Il faudra attendre que la mort d’un passant, survenue aux alentours de la manifestation, soit finalement moins naturelle (crise cardiaque) qu’il n’y paraissait au départ, pour que l’ensemble de la journée soit revu par les journalistes. Une vidéo délivrée par The Guardian, montre la victime poussée violement au sol par un agent des Met, sans raison apparente, l’homme marche les mains dans les poches, il vient de sortir de son boulot et tente de rentrer chez lui. La diffusion de ces images a poussé à la réflexion sur la journée, a laissé plus de place aux témoignages de manifestants bloqués des heures durant, plus de place à la possibilité de marcher hors des clous en Angleterre, ou non… Mais au rythme d’une alerte pour risque terroriste par semaine, dans les journaux, « les troubles à l’ordre publique » sont plutôt mal vus ces temps-ci et facilitent grandement l’absolution générale quant aux manquements aux libertés civiles… Une semaine plus tard, l’ensemble de la journée est réexaminé. La stratégie des autorités y compris. L’historique des manifestations et des émeutes lors des sommets politiques est revu pour expliquer comment la police en est venue à ça : contenir la foule, la stratégie du Kettling. Des experts psychologues expliquent..le B-A BA du comportement humain : réaction proportionnelle au traitement infligé et à ce que l’on attend de lui : les autorités ont martelé à la presse qui a relayé le tout, ils s’attendaient à des émeutes. « G20 : we predict a riot ». The Independant qui revient, le 9 avril, sur l’ensemble des évènements et du traitement de cette information, ajoute un récapitulatif du comportement des Met, qui annonce une polémique sur la réforme de leur service. Deborah Orr reprend certes les évènements mais y ajoute une dimension psychologique, elle dénonce l’idée d’une police neutre, mais explique bien l’esprit dans lequel les officiers remplissent leur tâche lors des manifestations sociales : déversement de leur propre opinion politique, vision du manifestant comme adversaire agressif à leur encontre. Une semaine plus tard, le G20 a rendu sa copie. Un package sensé sauver le système mais qui ne changera probablement pas le monde. Chacun est rentré chez soi. On a beaucoup plus entendu parler de la garde robe des premières dames que du reste de la planète qui voudrait elle aussi sa part du gâteau. Tant est si bien que pour le deuxième jour du sommet, seuls quelques centaines de manifestants ont fait le déplacement pour défendre la cause des plus pauvres et de l’environnement. A l’ouest rien de nouveau… des photos du G20 suivront.. |
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