Haïti à la recherche d’un Premier ministre Depuis les "émeutes de la faim" d’avril dernier, Haïti n’a plus de Premier ministre. L’ancien gouvernement règle les affaires courantes. Mais le contexte économique appelle plus que jamais des décisionnaires aux postes ministériels. En particulier, une bonne partie des fonds débloqués par la communauté internationale devant l’urgence de la situation alimentaire ne peut être assignée en l’absence d’un nouveau gouvernement. Deux premiers ministres désignés ont déjà été refusés. Près de trois mois sans personne à la tête du gouvernement. Pourquoi ça traîne ? Le Premier ministre doit être désigné par le Président puis ratifié par les deux chambres du parlement, c’est-à-dire les sénateurs et les députés. Deux étapes marquent cette ratification. Le contrôle des pièces techniques, c’est-à-dire les pièces prouvant que le Premier ministre désigné par le Président est haïtien. Puis la déclaration de politique générale. Jusqu’à présent, Ericq Pierre et Robert Manuel, les deux premiers ministres désignés successivement par René Préval, Président, en avril et mai, n’ont pu passer cette première étape. Ericq Pierre et Robert Manuel n’étaient pas haïtiens ? D’après les commissions parlementaires en charge de l’examen de leurs pièces, non. Mais l’interprétation de la constitution de 1987 est large. Il est quasiment impossible de trouver un texte de loi qui définisse les pièces prouvant la nationalité haïtienne. Leurs dossiers ont été refusés car certains points étaient tangents d’après les parlementaires : Ericq Pierre n’avait pas les actes de naissance de ses grands parents et Robert Manuel n’était pas propriétaire. On peut s’interroger à juste titre sur la nécessité de telles pièces pour prouver sa nationalité. Tout d’abord, faut-il être propriétaire pour être Premier ministre ? Est-ce à dire que la République haïtienne est un système censitaire ? Mais bien pis, ces commissions d’examen des pièces techniques ont fait fi de la réalité de l’état civil haïtien. Aujourd’hui, près de 95% des Haïtiens n’ont pas d’état civil en règle. L’administration est très désorganisée, et ce depuis des décennies. Combien d’Haïtiens peuvent donc prétendre au poste de Premier ministre dans ces conditions ? Vous avez dit démocratie ? Pour beaucoup, ces refus successifs des dossiers administratifs sont purement et simplement une insulte au peuple haïtien. En réalité, l’examen des pièces administratives est un acte politique. Le Parlement n’a pas laissé à Ericq Pierre ou Robert Manuel le loisir de présenter leur politique générale. Le débat politique sur le gouvernement du pays a été purement et simplement écarté jusqu’à ce jour. Alors pourquoi les parlementaires agissent-ils ainsi ?Erick Pierre, après avoir été rejeté le 12 mai dernier, a fait plusieurs déclarations à la presse indiquant qu’il n’avait pas voulu négocier avec les parlementaires. Il a souligné clairement qu’il n’avait pas souhaité entrer dans le jeu de la corruption. Il serait bien hâtif néanmoins de conclure que seule la corruption et le clientélisme sont à l’origine de ces rejets. Il faut aussi compter avec l’absence de coalition politique solide, de force des partis pour imposer une ligne à leurs membres. Il faut compter avec l’ombre portée du gouvernement précédent et de son Premier ministre Jacques Edouard Alexis. Avec le rôle complexe du Président Préval : garant de la constitution, il n’a pas rappelé les chambres à l’ordre avec les deux refus successifs sur motifs administratifs. Et enfin avec le silence de la société haïtienne qui accepte tacitement ces manoeuvres politiciennes. A quand le vrai débat politique ?Concrètement, le débat politique n’a pas encore eu lieu. Une partie importante des députés seraient opposés au néo-libéralisme, mais personnellement je n’ai jamais pu lire aucune proposition contre les politiques néo-libérales. Haïti est, rappelons-le, l’un des pays les plus libéraux du monde (droits de douane ridicules, absence de services publics, de solidarité nationale, totale dépendance aux marchés étrangers....). Les bonnes questions de politique générale ne manquent pas. Il y a une semaine, René Préval a désigné Michèle Pierre-Louis, actuelle directrice de la Fondation connaissance et liberté (FOKAL) où je travaille, au poste de Premier ministre. Depuis plusieurs jours, elle fait l’objet d’une campagne injurieuse mettant en cause sa "moralité" aux forts accents homophobes. A nouveau le débat politique est détourné. De nombreuses voix se sont élevées dans le pays et à l’étranger pour défendre cette personnalité dont l’action a toujours été au service du pays et de ses habitants. Je me joins à tous ceux qui espèrent que nous allons sortir de l’ornière des rumeurs et des trafics d’influence pour enfin aborder les questions de santé, d’éducation et d’économie. Si les commissions parlementaires confirment l’éligibilité de Michèle Pierre-Louis, je vous donne rendez-vous à la déclaration de politique générale. |
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