Port-au-Prince : Pourquoi créer un parc dans un bidonville ? Quand je présente le projet sur lequel je travaille, certains interlocuteurs m’opposent l’urgence de la situation des habitants du quartier de Martissant à Port-au-Prince et le caractère a priori superflu d’un parc dans un bidonville. Je me propose donc d’expliquer en quoi créer un parc est une démarche importante. Et par la même occasion, d’explorer un peu la dialectique « urgences/long terme ». Dialectique à propos suite aux événements récents dans le pays. L’urgence environnementaleLe couvert forestier en Haïti représente actuellement entre 1 et 3% du territoire. Et la déforestation se poursuit pour des raisons économiques : le bois est utilisé pour faire du charbon. Cette situation est alarmante. Le pays est montagneux : l’eau de pluie ruisselle, lessive les terrains agricoles et emporte avec elle la terre arable. Les paysans sont les premières victimes de cette situation, les urbains les seconds. La surface agricole se réduit tandis que chaque pluie menace les villes construites en contrebas des montagnes. Par ailleurs, la formidable diversité de la flore et de la faune haïtienne est en train de disparaître à tout jamais et avec elle l’équilibre écologique du pays. Le parc de Martissant, très boisé, est menacé par la progression quotidienne des constructions. Il s’agit de l’un des derniers espaces boisés de la capitale. Une source jaillit sous la couverture végétale. L’approvisionnement en eau est une difficulté quotidienne à Port-au-Prince. Il y a donc urgence à protéger, réhabiliter et mettre en valeur ce site. Pour offrir un espace public aux habitants du quartier et aux port-au-princiens, pour sauvegarder la source et les arbres, ralentir le ruissellement au cœur d’une zone urbaine, et enfin pour sensibiliser la population à la problématique environnementale. Urgence contre durabilitéLa sauvegarde de cet espace constitue donc en elle-même une urgence. Mais la question posée demeure la même : quelle est la légitimité d’un investissement humain et financier pour la création d’un parc au regard des besoins immédiats de la population ? Priorité à l’urgence ou priorité au développement à long terme ? La situation socio-économique désastreuse de la grande majorité des Haïtiens nécessite en effet des interventions d’urgence pour garantir alimentation, santé et sécurité. Ces interventions sont menées autant par les Nations unies – Haïti a connu 7 missions de l’ONU ces 15 dernières années – que par des institutions internationales ou des ONG comme Médecins sans frontières. Certaines de ces interventions, lorsqu’elles se prolongent et de temporaires deviennent permanentes, peuvent être considérées comme contestables dans leur efficacité. A titre d’exemple on peut s’interroger sur le sens d’une présence militaire étrangère en Haïti alors que le pays n’est pas, s’il l’a jamais été, en situation de conflit armé, mais plutôt face à des phénomènes de violence urbaine. Par ailleurs, les installations d’urgence qui permettent à la population de survivre n’ont de sens que si elles laissent la place à des structures pérennes. Or bien souvent, les opérations urgentes se multiplient et se succèdent les unes aux autres. Les structures durables et les institutions n’ont plus de raison d’être. On peut alors se demander si l’urgence, passée un certain stade, ne devient pas contre-productive. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certaines ONG choisissent volontairement de se retirer du terrain dès qu’un retour à la « normale » s’esquisse. A cela s’ajoute que l’urgence traite bien souvent des besoins essentiels, au risque d’en oublier les besoins « secondaires ». Le parc de Martissant a vocation à accueillir une bibliothèque, des espaces de réunion pour les associations du quartier, à développer des activités de sensibilisation et d’éducation. Car au-delà du quotidien, l’avenir de chacun des habitants du quartier, et à plus forte raison des jeunes, est un enjeu majeur. S’investir dans le long termeIl n’est donc pas très difficile de tirer les leçons de cette situation d’urgence permanente que connaît Haïti. Il est plus difficile, par contre, de trouver les moyens de sortir de l’ornière. D’une part les projets de long terme doivent trouver des financements sur un temps long. Or sans un partenaire financier pérenne, comme l’Etat ou une collectivité territoriale, un acteur du développement peut difficilement s’assurer un financement sur plus de trois années. Mais un projet urbain comme celui de la Fokal à Martissant, du diagnostic territorial à la réalisation finale, prend rarement moins de 4 années. Au mieux. Or les institutions haïtiennes sont très faibles, et leurs capacités financières également. Le projet du parc de Martissant est donc un pari sur l’avenir et se trouve en danger permanent de voir tarir ses sources de financement, sans substitut. La menace d’un arrêt brusque du projet pèse dès aujourd’hui sur ses acteurs. Pour autant, on ne peut dès aujourd’hui baisser les bras. A plus forte raison si on considère qu’il y a urgence à mettre en œuvre des projets pérennes. |
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