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Italie / Agriculture paysanne et travailleurs migrants saisonniers /

Des campagnes au syndicat : Magda raconte son histoire
27 mars 2008 par Cristina

Magda est polonaise. Elle avait 21 ans lorsqu’elle est arrivée à Foggia, en 2001, avant l’entrée de la Pologne dans l’Union Européenne. Elle est venue travailler en Italie le temps d’une saison. Celle de la tomate. C’était l’occasion de vivre une aventure, de gagner un peu d’argent. Aujourd’hui Magda vit encore à Foggia, où elle travaille à la CGIL (Confédération Générale Italienne du Travail), au service pour les étrangers. Voici son histoire.

« Je suis arrivée à Foggia avec ma sœur pour un travail saisonnier. C’est un ami polonais qui nous l’avait trouvé. On ne s’attendait absolument pas à ce que nous avons vécu. Nous sommes arrivées à la gare avec un bus d’une agence de voyage polonaise. Notre ami était censé nous attendre, mais quand nous sommes arrivées, il n’était pas là. Un peu plus tard, un garçon polonais nous a abordées. Il connaissait nos prénoms. C’est lui qui nous a conduites sur le lieu de travail. La nuit était déjà tombée, on ne voyait rien, mais la première chose que j’ai remarqué, c’est qu’il n’y avait rien tout autour. Seulement des champs. Il nous emmenées dans une baraque. Il y avait une seule pièce avec trois lits, un coin cuisine, mais sans toilettes et sans salle de bains. Nous étions quatre à dormir là : le garçon de la gare, un autre garçon polonais, ma sœur et moi.
Le lendemain nous avons commencé à travailler. Je pensais avoir à faire la cueillette des tomates, mais la saison était déjà terminée. Ils nous ont mises à nettoyer les champs et puis à traiter les artichauts et les vignes au pesticide. Le propriétaire travaillait avec nous, et son fils aussi. lls faisaient les courses pour nous, tous les quinze jours. C’était des pâtes, des pommes de terre, du pain, parfois des saucisses et du fromage. Au bout de trois semaines, j’avais déjà perdu beaucoup de poids. Une seule fois, on nous a emmenées au village. Je ne me rendais pas compte de l’endroit où on était. Je serais incapable d’y retourner. Après le premier mois de travail, nous avons demandé à être payées, mais le propriétaire nous a dit qu’il nous paierait à la fin des trois mois qu’on devait faire. Le garçon polonais de la gare, nous a dit que c’était normal. Je lui ai fait confiance. Je ne comprenais pas l’italien. Et puis le fils du propriétaire a commencé à faire des avances à ma sœur. C’était un porc… Nous étions là depuis deux mois, il nous a emmenées à la plage pour faire le gentil. Toutes les deux. La fois suivante, il a voulu emmener ma sœur toute seule. J’ai pas voulu qu’elle y aille. Il s’est vraiment fâché. Un des garçons polonais de la baraque nous a défendues. Ils se sont battus. On s’est fait viré tous les trois sans être payés. »

Et puis ?

« Le garçon polonais a demandé à un ami italien de nous héberger. On était logés dans une maison vide, sans électricité ni rien pour cuisiner. Il nous apportait parfois quelque chose à manger. Au bout de deux semaines, il nous a trouvé un travail dans un pub de Foggia. Moi, je commençais à comprendre l’italien et je commençais à me méfier de lui ne lui. Quand on a rencontré le propriétaire du pub, c’est le garçon polonais qui a négocié les conditions de travail. Ca s’est passé en italien, ils pensaient que je comprenais pas. Mais j’ai compris. Le garçon polonais a dit que j’étais sa copine, et donc que c’est à lui qu’il faudrait remettre l’argent des salaires pour ma sœur et pour moi. Nous dormions tous les trois chez le propriétaire dans une seule pièce. Le propriétaire et sa femme dormaient dans un lit. Le garçon polonais, ma sœur et moi dans un autre. Nous sommes restées là pendant six mois et demi. On travaillait toute la journée dans le pub et en plus, on faisait tout dans la maison pour la femme du propriétaire.
Un jour, au bout de trois semaines, j’étais seule avec la propriétaire. On a parlé du garçon polonais. Elle avait compris que ce type nous exploitait. Qu’il prenait l’argent à notre place et elle l’a chassé. Il est parti, mais il est revenu plusieurs fois pour nous menacer. Par la suite, j’ai appris qu’il avait fait la même chose avec de nombreuses filles polonaises.
Les trois premiers mois après le départ du garçon, nous avons été payées régulièrement. Et puis la femme du propriétaire nous a dit qu’elle avait de gros frais, qu’elle nous paierait plus tard. Entre temps, son mari a commencé à nous demander de porter des mini-jupes et des talons dans le pub. La chose ne nous plaisait pas parce qu’on travaillait toute la journée debout. Et puis le propriétaire a commencé à nous demandé de nous asseoir à côté des clients. Il disait que c’était pour les pousser à consommer plus. Des clients réguliers nous ont mises en garde. Ils ont dit qu’il y avait du trafic de drogue dans le pub et que par le passé, le propriétaire avait déjà profité d’autres filles étrangères. Nous avons commencé à avoir un peu peur.
Entre temps, ma sœur avait un amoureux. Il était de Foggia. C’était un client du pub. Lui aussi nous a mis en garde et il a promis à ma sœur de lui trouver un autre travail.
Un jour, le propriétaire nous a demandé de danser sur le comptoir et nous avons refusé. Nous nous sommes disputés violemment. Ce jour là, nous avons décidé de fuir et de rentrer en Pologne.
Quelques jours plus tard, j’ai profité de mon jour de repos pour préparer les valises pendant que ma sœur et les propriétaires travaillaient dans le pub. Ma sœur a prétexté l’achat d’un paquet de cigarettes pour me rejoindre et nous nous sommes enfuies. Une fille ukrainienne que nous avions rencontrée nous avait promis de nous aider. Elle nous a hébergées dans une maison vide en nous promettant de nous emmener à la gare le lendemain. Le copain de ma sœur l’a appelée pour lui dire que le propriétaire nous recherchait, qu’il nous accusait de l’avoir volé, qu’il voulait nous dénoncer à la police. Nous avons eu très peur. Nous ne savions plus quoi faire. Alors nous sommes rentrées. J’ai expliqué au propriétaire pourquoi nous étions parties. Que nous ne voulions pas faire certaines choses. Il nous a dit qu’on lui faisait gagner beaucoup d’argent, qu’il ne voulait pas qu’on parte. Nous sommes restées. Et puis, une semaine plus tard, ma sœur est partie dans le Nord. Son copain avait trouvé du travail et pour ma sœur aussi. Je suis donc restée seule et c’est devenu très difficile pour moi. J’ai perdu beaucoup de poids. Sans cesse, je demandais au propriétaire de me laisser partir. Je voulais rentrer en Pologne. J’avais beau lui promettre que je reviendrais, il ne voulait pas. Sa femme voyait que ça n’allait pas pour moi, elle a réussi à convaincre son mari de me laisser partir un peu. Il a fallu que je laisse toutes mes affaires chez eux. Ils m’ont donné juste l’argent nécessaire pour le voyage, mais aucun salaire. Je suis restée en Pologne pendant un mois.
Je ne trouvais pas de travail. Une famille italienne amie m’a contactée pour me dire qu’ils avaient trouvé un travail sérieux pour moi. Ils m’ont même invitée à séjourner chez eux dans un premier temps. J’ai donc décidé de repartir à Foggia. J’ai été accueillie à bras ouverts. J’ai commencé à travailler dans un bar. Au bout d’un mois d’essai, ils m’avaient promis de me régulariser. Ils ne l’ont jamais fait. Mais ils me payaient régulièrement.
Ce bar se trouvait juste en face de la questura et presque tous nos clients étaient des policiers !!! (rires) J’ai travaillé là pendant cinq mois, et j’y ai connu mon mari. C’était un client du bar.
Un jour, je me suis ouvert la main avec un verre. Ma patronne ne voulait pas que j’aille à l’hôpital parce que je n’étais pas en règle avec mes papiers. Je suis restée chez moi pendant quelques jours à cause de ma blessure, mais mes patrons n’ont plus voulu de moi. J’ai bien pensé les dénoncer, mais je ne l’ai pas fait. A cette époque, j’étais encore clandestine.
Mon futur mari m’a trouvé des petits boulots : serveuse dans une pizzeria, aide ménagère pour les personnes âgées… Et puis je suis tombée enceinte, notre première fille est née, nous sommes partis vivre ensemble, nous nous sommes mariés, et tout est bien qui finit bien ! »

Comment es-tu arrivée à la CGIL ?

« J’ai suivi un cours de formation qui s’appelle « expert pour l’insertion professionnelle des personnes en difficultés ». J’ai effectué mon stage au sein de la Confédération Générale Italienne du Travail, au moment où ils ont ouvert un service pour les émigrés, donc j’y suis restée ! »

Qu’est-ce que tu faisais en Pologne avant de partir ?

« J’avais fait un bac pro en comptabilité. Je travaillais dans une grande boîte d’électroménagers, mais en Italie j’ai envie de continuer ce travail d’assistance aux travailleurs étrangers. Après mon expérience, j’ai envie d’apporter mon aide aux étrangers, j’ai tout de même eu la chance de rencontrer des gens qui m’ont aidé. »

Pourquoi as-tu choisi de venir en Italie ?

« C’est surtout à cause de cet ami qui recrutait des travailleurs et qui nous avait raconté qu’en Italie, il y avait une bonne qualité de vie. Mais aussi, j’étais déjà venue en vacance trois fois en Italie avec des amis. A Rimini, Venise et Ravenna. J’aimais beaucoup l’Italie, mais quand on est touriste on ne se rend pas compte de la réalité d’un pays. »

Et maintenant, tu n’aimes plus l’Italie ?

« Sûr qu’après ce qui m’était arrivé je ne l’aimais plus beaucoup ! Mais maintenant, je m’y trouve très bien. Je ne m’imagine plus retourner vivre en Pologne. »

Ton avenir est en Italie, alors ?

« Oui. Maintenant, j’ai une famille à moi ici. Ma sœur aussi s’est mariée avec un italien. Ils ont deux enfants et un troisième en route. Ma mère et une petite sœur sont venues elles aussi vivre à Foggia. Toute notre famille se retrouve ici, en Italie.
Je n’aurais jamais cru rester vivre ici lorsque je suis venue en 2001. Je pensais juste vivre une aventure. Quand j’y réfléchis aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu être naïve à ce point. Parfois, avec ma sœur, on se souvient de cette période, et on se demande ce qu’on pouvait avoir dans la tête. Nous ne pensions pas qu’il pouvait nous arriver quelque chose. Aujourd’hui, on se dit que finalement, on a quand même eu de la chance. Quand on voit ce qui arrive à d’autres gens, quand on pense à toutes ces personnes qui ont disparues…. »




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