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Turquie / Exclusion urbaine /

Au quartier rom d’İstanbul : la grande loterie
5 décembre 2007 par Derya

Le mardi 4 décembre, la mairie de Fatih (arrondissement d’İstanbul) organise le tirage au sort avec les locataires pour l’attribution des logements suite à la visite du site de relogement le dimanche 2 décembre. Le projet de renouvellement urbain de la mairie est bien en cours, alors que la commission à multiples acteurs souhaitait sa révision et un nouveau projet dans une démarche de participation et de négociation avec tous et en particuier avec les habitants...

Avertissement et information

Dans les quartiers de Neslisah et de Hatice Sultan (connus sous le nom de Sulukule), c’est la confusion dans les esprits. Cette confusion met bien en exergue la réalité : 1) la très faible mobilisation des habitants, 2) le manque de cohésion entre les habitants, 3) l’émergence d’un "contre-groupe" collaborant avec la mairie. Que doit-on faire ? Que reste-t-il à faire ? İl est difficile de lutter contre le pouvoir réel et symbolique de la mairie : elle intimide, elle démolit des maisons de manière illégale (21), elle brise les mouvements de résistance au projet, elle embauche des habitants pour les allier à sa cause et elle offre l’opportunité de devenir propriétaire aux locataires. Mais surtout il est difficile de lutter avec peu d’habitants.
Demain, c’est la grande loterie pour les appartements dans le no man’s land. On prépare un tract dans l’urgence pour informer et "protéger" les locataires. Quelques habitants les distribuent dans les maisons discrètement pour ne pas éveiller le "contre-groupe" de la mairie. Le tract insiste d’une part sur les conditions du contrat qui vont être passées avec la mairie : il faut bien les comprendre avant de signer tout papier. Le tract interroge d’autre part les conséquences de ce relogement : êtes-vous en mesure de payer les mensualités tous les mois pendant 15 ans ? que va devenir votre travail ? comment allez-vous faire face aux problèmes de transports et à l’augmentation de vos dépenses domestiques ? On respecte bien sûr la décision de chacun, le propos n’est pas là. On veut justement que cette décision soit prise en toute connaissance de cause, car les locataires se mettent eux-mêmes en péril (surtout économiquement) pour exaucer leur rêve. On organise une réunion d’urgence avec un avocat bénévole le soir pour informer les habitants sur leur droit de locataire dans le café du quartier. Cette réunion soulage, donne espoir à la cinquantaine d’habitants présents. Le tirage au sort de demain ne fait ni gagner ni perdre un droit.

Loterie et tension

Mardi, vers 10h, les habitants affluent vers le complexe sportif non loin des quartiers. La police est présente à l’extérieur comme à l’intérieur -prête à intervenir au moindre incident. Les médias sont là : il faut filmer l’événement ! L’arrivée du maire de Fatih, Mustafa Demir, lance le grand show dans la salle de sport décorée pour l’occasion et équipée d’un écran géant : hymne national, discours, caméras, photographes, journalistes, interviews...et la cérémonie du tirage au sort ! Mais cette matinée annonce surtout le début d’une réelle tension et division parmi les habitants, qui peut amener à un certain climat d’insécurité dans le quartier.
Non seulement la police est là pour éviter tout débordement, mais elle empêche l’entrée de quelques habitants réfractaires au projet de la mairie -la police en civile bien sûr. Après discussion, l’obstacle est levé. L’arrivée des deux leaders de l’association de quartier (pour la solidarité et le développement de la culture rom de Sulukule) ne passe pas inaperçue : alors que celle d’Asım Hallaç crée des heurts vite dispersés, celle du président Şükrü Pündük attire toutes les caméras sur lui et réussit à médiatiser avec d’autres habitants dans le public le jeu de la mairie et les aspects non-éthiques des procédures.
Les habitants corrompus et manipulés par la mairie jouent bien leur rôle : acclamations, applaudissements, remerciements. Mais surtout la majorité des locataires est avec eux -convaincue du bien fondé du projet. Ceux qui tentent bon gré mal gré de défendre l’intérêt du quartier et des habitants, ne restent pas jusqu’à la fin. On assiste à une lutte de deux ans qui se brise pour sauvegarder le quartier avec ses habitants. Cela fait mal. Les caméras filment la joie et la danse des femmes...

La commission à multiples acteurs : quelle légitimité ?

La réunion prévue initialement le 30 novembre et reportée par la mairie va avoir lieu ce vendredi 7 décembre. Dans ce temps, la mairie a bien suivi ses intentions initiales de mener son projet et n’a pas suspendu mais au contraire accéléré le processus (visite du site de relogement, attribution des logements). Dans ce contexte, quel est encore le sens de signer un protocole pour une commission à multiples acteurs -d’autant plus que le but était d’initier un nouveau projet avec les habitants du quartier ? Si on crée cette commission, son rôle ne va-t-il pas évoluer dans le sens de la mairie -à savoir "réparer" les conséquences négatives de ce projet sur les habitants ? İl faut être prudent et bien réfléchir à la fonction et à l’objectif d’une telle structure à présent. Car, la mairie, elle, ne s’empêchera pas de vanter que c’est un projet participatif -si on reste dans cette logique de créer une commission.
Or, le rôle de la plateforme de Sulukule et de Human Settlement Association va s’orienter entre autre vers la protection des droits des habitants -en particulier des locataires. Mais ces activités n’ont pas de raison de s’inscrire dans l’agenda de cette commission -à contrario on légitimerait la logique de la mairie.
Aujourd’hui, il faut accepter la défaite. Le débat n’est plus de rester ou quitter le quartier pour les habitants. La bataille est définitivement juridique. İl faut dénoncer et ouvrir des procès contre ce projet de renouvellement urbain de la mairie d’un point de vue technique, urbanistique et architectural. Ces aspects ont été omis au profit de la dimension humaine et culturelle. Or, un projet urbain ne fait-il pas sens avec l’ensemble de ces données ? En tout cas, une chose est sûre : ce projet de la mairie n’assure aucune continuité entre le passé et l’avenir de Sulukule.




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