Mi-septembre se tenait le sommet mondial des acteurs non-étatiques du climat appelé « Climate Chance ». Nous y étions présent-e-s pour visibiliser la participation de la CMJC. Voilà le bilan que j’ai publié sur le site de la CMJC quelques jours après :

Bilan Climate Chance

Trois jours d’activités, pas loin de 5 000 participant-e-s de plus de 60 (?) pays, le sommet international des acteurs non-étatiques du climat Climate Chance, dont la deuxième édition s’est tenue du lundi 11 au mercredi 13 septembre 2017 à Agadir, n’a pas à rougir d’être le dernier-né des sommets internationaux sur le climat.

Organisé par l’association (principalement bretonne/française, la première édition s’est tenue à Nantes) Climate Chance et la région Souss-Massa, le sommet ambitionne de réunir les acteurs non-étatiques des questions climatiques. Sous cette appellation, on retrouve des acteurs très différents : ONGs, monde de la recherche ou des médias, entreprises et surtout collectivités locales. L’idée est d’amener ces acteurs qui sont plus proches du terrain à discuter entre eux et éventuellement à se regrouper pour peser ensemble dans les négociations internationales sur le climat, notamment lors des COPs annuelles. Entre autres, l’une des propositions est de se constituer en force commune pour faire pression (ou plutôt faire des « recommandations », c’est selon…) sur les Etats, en particulier les Etats du Nord, acteurs principaux des négociations internationales et pays principaux émetteurs de gaz à effet de serre. Pour rappel, l’Afrique est la première victime des conséquences du changement climatique avec des régions en stress hydrique important, alors que le continent produit moins de 8 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales (GIEC 2007). Parler de justice climatique, c’est aussi poser la question, à l’échelle internationale, de cette réalité et de ce qui est mis en place pour « rétablir l’équilibre », c’est-à-dire diminuer l’impact des activités du Nord en agissant à la fois sur les causes (dans les pays du Nord) et sur les conséquences (dans les pays du Sud et ailleurs). Le fait de tenir cette conférence dans une ville secondaire d’un pays du Sud n’était donc pas totalement un hasard.

En outre, la région du Souss-Massa, même si le sommet n’a pas eu beaucoup l’occasion de le rappeler, est un grenier important du Maroc et même de l’Europe, puisque la région produit énormément de légumes destinés à l’exportation et est la principale réserve mondiale de l’arganier, arbre dont on tire la précieuse huile d’argane, prisée pour ses qualités gustatives et dermatologiques.

Si l’étape du « badging » n’a pas été une partie de plaisir pour la plupart des participant-e-s qui ont manqué la plénière d’ouverture pour récupérer le précieux sésame, même cette étape a permis de commencer à tisser des liens et cette activité a sans doute été la principale pour nombre de participantes et de participants, venus ici pour rencontrer des partenaires préalables ou potentiels. Pour cette raison, les stands ont constitué un point nodal de la rencontre, avec beaucoup d’affluence et d’intérêt. Pour l’anecdote, le stand de la Coalition Marocaine pour la Justice Climatique, que nous partagions avec le WECF et la fondation Heinrich Böll, a été victime de son succès. Nos deux caisses de documents, notamment les 100 (?) livrets de rapports d’activité de l’année 2016, ont été écoulées en à peine une journée de présence sur le stand, que nous animions en collaboration avec le WECF et la fondation Heinrich Böll qui nous ont aimablement invité à partager le leur.

Pour le reste, de très nombreuses activités étaient proposées, dont des focus et des forums multiples sur des thèmes variés (financement, jeunesse, Méditerranée, Etats-Unis….), des « Dialogues de Haut Niveau » (rien que ça) et de très nombreux ateliers, avec un accent relatif sur le thème des financements, ce qui correspond à des attentes particuliers du principal type d’acteur cible du sommet : les collectivités locales. Pour accueillir cette grande logistique, deux grands hôtels du quartier touristique d’Agadir (Atlantic Palace & Dunes d’Or) et de nombreux autres pour assurer l’hébergement de tout ce monde. La concentration dans le secteur touristique de la ville permettait d’ailleurs, avec un peu d’esprit critique, de constater quelques unes des incompatibilités entre tourisme de masse et justice climatique. Des impressions bizarres parfois en croisant des touristes baladés en car climatisé ou qui ne sortent pas d’un hôtel tout confort, alors que quelques rues les séparent du Maroc que nous connaissons tous, bruyant, désordonné, vivant et plein d’ingéniosité face aux difficultés du quotidien.

Impossible de résumer tout ce qui s’est passé et dit au cours de ce sommet. Nous avons pu rencontrer beaucoup de gens et l’initiative de la Coalition Marocaine pour la Justice Climatique qui, il faut le dire, détonnait parfois un peu dans le paysage, a été accueillie avec beaucoup d’intérêt. De nombreux-ses marocain-e-s ont pu y découvrir les activités et le rôle de la Coalition et ont pu apprécier nos interventions dans les activités où nous étions présent-e-s.

De belles initiatives concrètes ont pu être présentées, notamment celles menées par la mairie de Chefchaouen, en lien avec diverses associations locales et ONGs, et dont le maire, Mohamed Sefiani, s’était déplacé en personne pour exposer leurs avancées. Une belle exposition sous forme de frise chronologique était exposée par l’association Paléo-Energie qui recensait des avancées technologiques, notamment en matières d’énergie et de mobilité, qui constituaient aussi des avancées sur le plan climat et qui sont tombées dans le domaine public, donc peuvent être réappropriés par d’autres gratuitement.

Un atelier, animé par le Réseau des Initiatives Agroécologiques du Maroc (RIAM), Terre & Humanisme Maroc (membres de la Coalition Marocaine pour la Justice Climatique) et d’autres associations, portait sur les expériences en agroécologie et en permaculture a fait la promotion de plusieurs expériences intéressantes dans diverses régions du pays, dont notamment la fabrication d’eau potable à partir de la récupération d’eau de brouillard. Et ce sommet a été l’occasion de rappeler à de multiples reprises l’importance de l’approche genre et de l’intégration des femmes dans les processus visant à lutter contre le changement climatique, depuis les actions de sensibilisation à la base jusqu’aux sphères les plus hautes des négociations internationales. Nous avons essayé, par notre présence et notre communication en temps réel (Twitter) tout au long du sommet, d’aider à la visibilisation de ces initiatives et à la promotion des idées et des valeurs portées par les membres de la Coalition Marocaine pour la Justice Climatique.

Si on peut reprocher quelque chose peut-être à ce sommet, ce serait l’absence total ou presque des situations de conflit, sur le terrain, entraînées ou aggravées par le dérèglement climatique et par les activités humaines polluantes. Il semble que le choix a été fait par les organisatrices et organisateurs d’orienter ce sommet vers les attentes d’une certaine élite sociale, qu’il s’agisse de décideurs (locaux, régionaux), d’entrepreneurs (plus ou moins « verts » d’ailleurs) venus vendre leurs produits ou de différentes structures qui ambitionnent d’influencer les sphères de pouvoir (lobbies). Si des coopératives de production et autres associations de terrain étaient présentes, notamment des structures de sensibilisation et de formation, dont certaines sont membres de la CMJC, cette orientation initiale s’est ressentie dans l’absence quasi-totale d’analyse en termes de stratification sociale (sans même aller jusqu’à parler de « classes sociales ») et des impacts différenciés du changement climatique selon la position socio-économique occupée par les acteurs. Si les catégories d’analyse qui ont dominé ce sommet (genre, jeunesse, rapports internationaux Nord/Sud) ne sont pas à rejeter, au contraire, il semble que la disparition de l’analyse en termes socio-économiques est très préjudiciable si on vise de concert les objectifs de réduction des activités entraînant le changement climatique et ceux de justice sociale (réduction des inégalités, satisfaction des besoins de base et augmentation de la qualité de vie de tous).

Et maintenant les coulisses !

Le mois d’août au Maroc est, en termes de travail (hors secteur touristique), calme comme la Méditerranée et les crêpes humaines rougissantes qui s’entassent sur ces côtes à la même période. Habitué depuis des années à travailler en bureau à cette période de l’année où tou-te-s les autres, ou presque, partent en vacances, je n’étais donc pas particulièrement dépaysé sur ce point. Je profitai donc de quelques temps d’oisiveté collective pour avancer des chantiers plus personnels, faire du tri et du ménage dans mes espaces virtuels et physiques de travail et pour collecter quelques informations qui pourraient intéresser par la suite les mouvements qui s’attaquent aux questions de l’extractivisme et du changement climatique dans la région. C’était aussi, pour ce qui nous concerne ici, l’occasion de prévoir le travail qui arrivait pour les mois à venir. Car qui dit vacances dit rentrée, scolaire bien sûr mais aussi sociale, et avec elle, de nombreuses dates clés à inscrire sur nos agendas pour rythmer le travail.

Rencontres migrations, ateliers sur la feuille de route marocaine sur la mobilité durable, séminaires sur la transition énergétique, premières rencontres de la Maison Méditerranéenne du Climat à Tanger, préparations de la COP23… Le mois d’août s’annonçait comme le calme avant la tempête. Enfin, restons humbles et à notre place comme nous l’enseignent plusieurs courants de l’écologie politique : les actions annoncées n’auront malheureusement pas autant d’impact que les cyclones Irma et Maria qui ont dévasté les Caraïbes et qui, on ne le répétera jamais assez, sont la conséquence du dérèglement climatique dont les activités humaines sont responsables. Bref, revenons à des latitudes-longitudes plus clémentes et où les moutons qui s’accumulent en prévision de l’Aïd sont moins menaçants que ceux du ciel antillais. Une grosse date pas encore évoquée mais qui arrive à très grands pas est celle de ce fameux sommet Climate Chance, dont nous avions entendu parler il y a quelques mois entre deux prises de bec sur la structuration de la Coalition.

Et lors de la réunion de rentrée – qui n’en était pas vraiment une, d’ailleurs – c’est ce point qui va resurgir comme un poisson qui saute de l’assiette de soupe chaude qu’on s’apprête à déguster par une froide soirée d’hiver. Nous avions bien avancé, de façon efficace et rationnelle, tout au long de la réunion, pour préparer un événement de la CMJC à venir. Lorsque je ramenai sur la table une fois de plus la question de ce sommet et qu’enfin la discussion prenait, je prenais enfin compte que beaucoup de personnes de la CMJC comptait y aller, que la structure en elle-même était partenaire (« ah bon ?! Mais comment ça on est partenaire?! ») et qu’il convenait donc de discuter du sens de notre engagement sur cet événement et ce, autrement qu’entre le rangement des sacs des uns et le départ des autres. Mais maintenant que le poisson s’est montré, ne crachons pas dans la soupe et avançons.

Et voilà en quelques jours, comment un non-sujet de fin de réunion devient le centre de la principale plateforme nationale de la lutte contre le changement climatique. Après avoir réalisé collectivement le déficit de l’organisation sur cet événement et alors que de nombreuses personnes avaient prévu de s’y rendre, il a suffi de quelques coups de fil, d’un peu de négociation de coin de table et d’inventivité budgétaire et logistique pour nous retrouver deux mandatés propulsés sur place pour « coordonner l’activité de la CMJC lors du sommet et visibiliser la présence ». Mais comment on organise quelque chose qui n’a jamais été pensé collectivement auparavant ?

Un stand ! Il nous faut un stand. Très bien, alors on voit pour un stand… Mais bien sûr, inutile de dire que les délais sont largement dépassés, depuis plusieurs mois même. Donc il faut passer par, disons, la voie diplomatique. Mais ça, pas de soucis, on sait faire. Tractations, courriers qui se perdent de bureaux officiels en couloirs de parlement, et paf ! Eh bah non, en fait, pas de nouvelles… La situation se complique, il faut faire vite, mettre en marche les réseaux. Finalement, on s’arrangera entre ami-e-s grâce à l’amabilité du WECF et de la fondation Heinrich Böll, qui co-organisaient avec le CNDH une formation de formatrices sur le genre et les questions climatiques à laquelle participaient plusieurs membres actives de la Coalition. Sans véhicule (on lutte contre le changement climatique!), pas simple de ramener de quoi remplir un stand, entre le matériel encombrant et les publications, parce que mine de rien, le papier, quand il y en a beaucoup (mettons… une énorme valise remplie!), ça commence à peser lourd. Heureusement, la solidarité s’organise et le lundi après-midi, avoir avoir rassemblé toutes les pièces du puzzle, nous avions une présence honorable, avec même une légère tendance à manger sur le reste du stand et sur les bords des stands voisins. Bon, à notre décharge, le stand était très petit et c’est surtout nous qui le tenions donc l’un dans l’autre…

Et à part un stand, comment se visibiliser ? Il convenait, comme c’est de coutume dans ce genre d’événements, d’animer des ateliers. Sauf qu’encore une fois, on n’improvise pas le programme d’un sommet international deux jours avant et les délais pour proposer une intervention (qui ne s’improvise pas non plus, du reste) étaient déjà largement dépassés. Heureusement, la « dynamique femmes » de la CMJC (affectueusement surnommée « dynamite femmes » dans les milieux autorisés, manière de souligner par là son dynamisme précisément et sa capacité à intervenir sans craindre l’impertinence dans certains milieux qui se pensent un peu trop vite débarrassés de leur phallocratie) – la dynamique femmes de la CMJC, donc, avait prévu d’organiser un atelier de sensibilisation sur le rôle des femmes dans le développement durable. Mais il fallait bien avouer qu’un atelier sur plus d’une centaine (et sans compter les « focus », « forums » et autres « dialogues de haut niveau ») faisait un peu maigre pour le seul partenaire de l’événement qui n’était ni institutionnel ni commercial.

Heureusement pour moi, la Coalition, c’est aussi près de 200 structures dont certaines qui arrivent assez bien à allier travail de terrain et présence dans ce genre de mondanités internationales. Malheureusement, le partage d’informations n’est pas encore une pratique extrêmement répandue en interne et il a donc été impossible de faire une recension exhaustive de la présence de membres de la CMJC. La tâche n’était d’ailleurs pas facilitée par certaines rivalités existantes au sein de la structure et qui font que toutes les informations ne passent pas, de peur qu’elles soient récupérées ou instrumentalisées par d’autres. La vie n’est pas toute rose dans le monde associatif. Mais avec la collaboration de plusieurs associations membres de la Coalition, nous avons quand même réussi à avoir une présence honorable, avec plusieurs activités répartis sur les trois jours de l’événement et une présence physique presque continue dans le stand où étaient affichées les outils de la communication et les publications (rapports d’activités 2016) de la CMJC.

Mon travail a donc en bonne partie consisté à visibiliser tous ces éléments disparates, en premier lieu à destination des autres structures de la CMJC qui n’avaient pas pu se déplacer à Agadir (via la liste mail de la Coalition) mais aussi à destination du public, à travers le site Internet de la Coalition et les réseaux sociaux. Je me suis essayé à l’exercice du Live Tweet, dont j’ai pu constater qu’il ne facilite pas la compréhension du débat pour celui qui l’anime. On pourra retrouver ces tweets en revenant un peu sur le compte Twitter de la Coalition.

Pour le reste, ce sommet était globalement tourné vers les collectivités locales. Ainsi, on trouvait en proportion beaucoup plus d’ateliers sur les financements climat que sur les enjeux environnementaux et sociaux qui traversent la planète. Et, sur un plan davantage anecdotique, on trouvait beaucoup plus de costards cravates que des tenues habituelles dans les rendez-vous écolos que je fréquente à l’accoutumée. Et si l’habit ne fait pas le moine et qu’il ne faut pas se plaindre que les préoccupations environnementales commencent à atteindre des sphères de pouvoir ou, du moins, des individus qui prétendent y accéder et en affichent pour cela tous les codes sociaux, il est très regrettable que des militant-e-s de terrain se voient refuser l’accès au lieu du sommet par un service de sécurité qui juge inapproprié leur tenue. C’est la douloureuse expérience que j’ai pu faire, et dont j’ai pu constater qu’elle concernait d’autres personnes également, lorsque j’allais travailler le dernier jour au rangement du stand et à la coordination pratique des dernières activités de la CMJC sur le sommet. Le short-baskets n’était donc pas considéré comme une tenue en adéquation avec la lutte contre le changement climatique telle que réappropriée par les classes dirigeantes, y compris pour les « petites mains ouvrières » qui travaillaient à la bonne représentation de la « société civile » (indispensable élément de la légitimation de ce genre de sauteries de la haute en phase avec les défis du nouveau siècle).

A leur décharge, le mauvais esprit que vous me connaissez (ou que vous me découvrez ici, en lisant ces lignes) a parfois eu tendance à réapparaitre :

Jules Vallès écrivait : « On déteste Napoléon dans ce monde de puritains, mais on n’aime pas les misérables dont le style sent la poudre de Juin plus que celle du coup d’État. » Plus de 130 ans plus tard, l’odeur de la poudre s’est dissipée sur les vêtements des misérables et les puritains travaillent avec plus qu’ils ne détestent Napoléon… « Oui mais, ça branle dans le manche ! Les mauvais jours finiront ! Et gare à la revanche, quand tous les pauvres s’y mettront ! ». En attendant, après avoir exposé aux badauds qui passaient là ce que je pensais de cette politique de tri social à l’entrée d’un sommet environnemental international, j’ai fini par obtenir l’immense honneur de pouvoir à nouveau pénétrer dans le sein des saints de l’eco-friendly de palace pour pouvoir empaqueter ce qui restait et repartir à Rabat.

L’occasion de faire du copinage éhonté pour CQFD, le journal qui mord la main de son maître

Parce que, quand même, un paria qui gueule en anglais à l’humiliation de classe quand tout le gratin international vient manger les petits fours du mot de clôture, ça la fout mal pour un établissement de renommée dans un pays qui se vante de sa stabilité, de son ouverture et de sa politique verte et responsable.